Prudence !

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Nasr Eddin est au marché, devant un étalage. Un jeune s’arrête près de lui en lui marchant sur le pied et en écrasant ses orteils avec sa lourde chaussure.

« Tu es le fils de notre khalife bien aimé, lui dit Nasr Eddin en souriant !
— Pas du tout, lui répond l’autre sans bouger.
— Alors, tu es le fils du vizir ?

— Non plus !
— Le fils d’un magistrat ?
— Mais non ! Mon père travaille sur le marché, il est portefaix !
— Alors enlève ton pied, imbécile, si tu ne veux pas tâter de mon bâton ! »

 ***

Le courage est une vertu, nous sommes d’accord. Mais l’inconscience n’en est pas une et, quelle que soit la réputation de couardise de Nasr Eddin, peut-être a-t-il raison d’être prudent. D’ailleurs, la prudence est, à l’instar du courage, une des quatre vertus cardinales depuis les Grecs. Prudence qui désignait à l’époque la capacité à distinguer ce qui est bon et mauvais et d’être ainsi capable de savoir ce qu’il convient de faire. Au fond, Nasr Eddin se montre fort sage. Mais nous exigeons des héros (du moins quand il s’agit de quelqu’un d’autre que nous), et nous ne tolérons pas les comportements frileux. Nous voudrions que les Français aient été résistants, que nos proches nous défendent en toute circonstance, que ceux et celles qui nous gouvernent aient du courage politique (sinon, ce sont des traîtres ou des opportunistes). Mais de nous-même, qu’exigeons-nous ?

Darwiche, J. (2000). Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage. Paris : Albin Michel.