Un nouvel élève

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un guerrier frappe à la porte d’un maître zen, dans l’espoir de devenir son disciple. À peine est-il entré, que le maître trace dans l’air une sorte de cercle et lui demande ce que cela signifie.
« Comment le saurais-je ? répond le guerrier. Je suis ignorant et je voudrais devenir votre disciple. Comment puis-je comprendre si vite les signes mystérieux que vous tracez dans l’air ?
— Entre et ferme la porte, répond le maître, tu peux devenir mon nouvel élève. »

***

Jodorowsky, qui raconte cette histoire, affirme que seul celui qui ne croit pas déjà savoir peut apprendre. Vieille leçon que voilà. Mais peut-être pouvons-nous dire que cet élève-là n’est pas si débutant : il n’a pas honte de son ignorance ; il sait sans doute qu’il n’est pas nécessaire de savoir pour être admis ; il ne se croit pas face à un examinateur qui le teste sur ses connaissances. Autant, justement, de connaissances qui ne sont pas à la portée du premier venu mais, au contraire, qui sont le signe d’un chemin parcouru.
Il me semble que même un maître accompli pourrait avoir cette réponse. Peut-être même l’histoire a-t-elle un sens caché et peut-être que le maître n’est pas celui qu’on croit.
Ceci évoque l’Épochè, la suspension du jugement phénoménologique ou, dit plus simplement, la posture qui consiste à « ne pas savoir ». C’est, pour tout thérapeute et, plus généralement, pour toute personne qui prétend en écouter une autre, une chose importante : comment prétendre écouter quand on croit savoir à l’avance ce que l’autre dit, avant qu’il n’ait déployé complètement sa pensée ?

Jodorowsky, A. (1997). Le doigt et la lune : Histoires zen. Paris: Albin Michel.