Un homme endormi sur le chemin

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un homme s’est endormi au bord du chemin. Il gît là, respirant doucement, déjà couvert de poussière.

Passe un voleur qui se dit que la police ne va pas tarder à intervenir et qui décide de s’éclipser. Survient un ivrogne qui pense, quant à lui, que celui-ci ne tient pas l’alcool. Il s’éloigne lui aussi en titubant. Passe enfin un sage qui voit le calme de l’homme : « Quel grand maître ce doit être pour être ainsi en extase au bord de la route, je vais méditer à ses côtés ! »

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La leçon semble évidente. C’est celle que Jodorowsky tire, d’ailleurs : ce que nous voyons des autres parle davantage de nous que d’eux. Le voleur voit un homme en délicatesse avec les autorités, l’ivrogne un autre ivrogne et le sage un autre sage. C’est ce qu’on appelle une projection. Mais cela n’est évident pour moi que parce que je me pique de psychologie et que, par conséquent, je vois des projections partout. Tirer cette conclusion est encore une projection. Je me prends moi-même au piège que je prétends dénoncer. Car une foule d’autres interprétations sont possibles, morales par exemple, telle celle qui dirait que l’homme de vice s’éloigne et que l’homme de bien reste.

Je me laisse aller à penser qu’un maître zen dirait qu’un homme qui dort, c’est un homme qui dort, point.

Jodorowsky, A. (2007). La sagesse des contes. Paris: Albin Michel.