Polémique en avril, la directrice de l’INA dépense 40 000 euros de taxi en 10 mois, dont 6700 euros pour son fils. Une maladresse, se défend-elle – maladroitement – avant d’être poussée à la démission par la ministre de la Culture, non sans rembourser ses folles courses. Ouf ! dirons-nous, après avoir vilipendé ses élites qui se croient tout permis. Ouf ? Vraiment ?

Évidemment, ce billet n’est pas une plaidoirie en faveur d’Agnès Saal ; tout juste me permettrai-je de plaindre une femme qui, en plus de ses déplacements dans sa voiture avec chauffeur, doit passer des heures dans des voitures : 100 euros par jour de taxi, ça en fait des kilomètres… Avec moins de sarcasmes, je trouve qu’il y a quelque chose de pathétique, à la lecture de sa fiche sur Wikipedia [1], à voir toute une carrière se solder par cette stupide histoire ; que sais-je de ses succès ou ses insuccès durant toutes ces années, que m’en disent les rapporteurs de la polémique ? Rien.

Ce qui m’intéresse ici, c’est ce que dit de nous et de notre société cette histoire à la fois de désinvolture, peut-être d’arrogance, et de flingage médiatique.

Et pour cela, je me propose de m’appuyer sur les deux sujets d’étonnement que je rapporte ci-dessus. Quelque 100 euros de taxi par jour, en plus des déplacements avec sa voiture avec chauffeur, c’est-à-dire en dehors des heures ouvrées. Cela suppose une vie tellement éloignée de la mienne que je peine à l’imaginer. Même si certains déplacements sont privés : qui voudrait continuer à hanter la banquette arrière des taxis après y avoir passé un temps considérable pour le travail ? Je me figure qu’il s’agit de se déplacer d’une mondanité à une autre, cocktail, réception, mais aussi conseil d’administration, réunion, c’est tout un, différentes déclinaisons d’une même chose : du lien social ; le taxi finalement, c’est le privé, le lieu de solitude, voire peut-être le temps du travail de réflexion, à moins qu’il ne tienne lieu de cabine téléphonique.

Bref, tout ceci pour arriver à cette bête question : de quoi est faite la vie de nos élites ? Ce temps considérable passé en voiture ne serait-il pas la conséquence inévitable d’un mode de vie ? D’ailleurs, comment font les autres ? Quelles sont les notes de taxi des ministres, des chefs de cabinet, de tous ceux qui participent à la marche des services publics ? Je n’en sais rien et je n’en ai rien lu récemment ; d’ailleurs, je ne lis plus rien du tout depuis que cette carrière brillante a été réduite à une histoire de notes de frais. La brutalité de la chute elle-même nous interroge, même si nous sommes depuis longtemps accoutumés au zapping médiatique. Serait-ce qu’il s’agit de ne pas laisser le voile se lever, à l’occasion de cette fuite-là ?

En nous offusquant de la conduite de cette femme, nous nous privons de regarder plus avant ; telle un bouc émissaire, chargée d’une faute impardonnable, son renvoi dans le désert (médiatique) nous rassure tous à peu de frais.

Alors, oui, c’est de l’argent gaspillé ; oui, cette situation n’est pas tolérable ; oui, elle est même indécente pour tous ceux qui peinent à boucler les fins de mois. Mais juger cette femme, c’est clore le dossier ; clore le dossier, c’est se priver de chercher les racines du problème. Et se condamner à d’éternelles répétitions.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Agnès_Saal

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr