Pas un matin sans une catastrophe ou, faute de catastrophe avérée, une catastrophe annoncée. Dans un cas comme dans l’autre, journalistes et analystes se penchent sur le pourquoi et le qui : pourquoi cette catastrophe (ou le risque de cette catastrophe) et qui est responsable ? Ce qui se dessine derrière cette quête, c’est la recherche de solution : il y a un problème, donc il y a une solution et, cette solution, quelqu’un la détient ou, du moins, doit changer son comportement ; à moins que la société le lui impose, par exemple dans le cas notable des criminels.
Assurément, la recherche de solution est une approche indispensable, de même que tenir un cadre, le faire respecter au besoin par des sanctions ; autrement dit, appliquer la loi, pour la sécurité de tous.

Pour autant, cette approche ressemble, en médecine, au traitement des symptômes : un antalgique va peut-être calmer mon mal de tête, mais sans doute pas soigner l’affection sous-jacente. C’est dire qu’on passe à côté du problème, ou plutôt de la complexité du problème, pour n’en rester qu’à la surface. Ce que l’écrivain Mencken formulait en disant : « Pour tout problème complexe, il existe une solution qui est claire, simple, et incorrecte. » [1]

Le médecin sait qu’un mal de tête n’est que l’émergence du problème qui touche l’ensemble du corps humain : ce dernier s’exprime par le biais d’un mal de tête. Il ne reste pas rivé sur le symptôme, mais prend du recul et considère l’être humain comme une totalité.

Or, il ne semble pas que cette considération prévale dans les discours publics, tels que nous les relayent les médias. Prenons pour exemple le domaine de l’écologie : chaque camp a ses bons et ses méchants : les uns, adeptes par exemple du gaz de schiste pour doper la croissance accusent les mouvements écologistes de faire stagner l’économie, tandis que ces derniers dénoncent l’appât du gain du monde financier et industriel. Les uns et les autres s’arrêtent à une dénonciation du camp adversaire, forcément partial, forcément partisan. Il n’y a guère de voix – ou alors elles sont inaudibles – pour se poser la question de : qu’est-ce que ça dit de notre société, que des voix s’élèvent pour empêcher l’expansion économique ou d’autres pour dénier la réalité du réchauffement climatique ? Qu’est-ce que ça dit même du monde où nous vivons, car il n’y a pas d’un côté la planète et de l’autre la civilisation humaine.

Notre espèce n’est pas, en effet, une entité distincte du « système » constitué par la nature sur la planète Terre ; elle en est une composante, qui fonctionne en interaction avec les autres et ne peut raisonnablement être considérée de façon isolée du reste. Tout en continuant à questionner la responsabilité de chacun, nous devons aussi regarder si ce qui se passe relève ou non d’un processus en cours dans le système. De même qu’un bain de bactéries voit celles-ci se multiplier jusqu’à atteindre les limites des ressources, de même, peut-être, un tel processus est-il à l’œuvre pour l’espèce humaine ; et ce n’est pas en punissant quelques individus de la masse que nous parviendrons à enrayer ce processus, mais en découvrant quels effets de levier peuvent nous conduire sur une autre voie.

Plus modestement, ces mêmes considérations peuvent être faites dans les organisations auxquelles nous appartenons ou dont nous avons la responsabilité. D’un côté, la nécessaire sanction des comportements qui ne respectent pas le cadre – à condition qu’il ait clairement été posé et partagé – d’un autre côté, un regard global sur l’organisation : que dit de celle-ci l’émergence de ce comportement ?

De même que le problème n’est pas l’éruption d’un volcan, mais l’affleurement de la lave qui trouve le chemin le plus aisé vers la sortie, de même, le problème n’est pas le comportement d’un individu que ce qu’il révèle du fonctionnement sous-jacent de l’organisation.

Mais bien entendu, cela passe par le renoncement aux solutions claires et simples.

Claires, simples et incorrectes.

* Citation de Michel Crozier ; l’essentiel de la résolution d’un problème consiste à comprendre le problème dans toute sa profondeur, dans toute sa complexité.
[1] For every complex problem there is an answer that is clear, simple, and wrong. – H. L. Mencken, écrivain américain du début du XXe siècle.

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr