Dans une file d’attente un peu chaotique d’un établissement de restauration rapide, je me fais apostrophé par un couple: elle, me dit que je suis passé devant eux, que je bouscule tout le monde; je le prends mal; je suis avec un ami et cinq enfants et je me débats avec les menus et les indécisions des petits sans aucune intention de doubler qui que ce soit; peut-être un peu de précipitation à vouloir sortir de la cohue.
Le ton monte entre nous puis je décide de briser là et les laisse passer, en grommelant un peu, je l’avoue. Lui entre en scène et m’interpelle de plus belle; me tutoie; me demande “c’est quoi ton problème”; et assez vite m’annonce que, sans les enfants, il “m’en aurait mis déjà une”. Mon ami Dominique qui est là et mesure 1m94 n’a jamais autant été mon ami…
De ce navrant épisode où je n’ai pas senti que je tenais le beau rôle (mais qui tenait donc le beau rôle? Les enfants sans doute…), je retiens cette réaction de ce jeune homme (et dans une moindre mesure, de sa compagne) qui, se sentant floué, passe immédiatement à la plus vive colère. Certain d’ailleurs de son fait, certain de sa justice. Voilà sans doute où aurait pu agir cette vertu méconnue: la tempérance; non pas seulement une molle tendance à éviter les excès comme on l’entend trop souvent; mais une mollesse à passer d’un état à un autre; une lenteur du transport de colère.
J’entends dans “tempérance”, le mot temps comme dans temporiser ou temporaire; même si l’étymologie ne me soutient pas, je l’entends aussi dans “tempéré”, par exemple pour un climat tempéré ni trop chaud ni trop froid ou, surtout, on ne passe pas “trop vite” du chaud au froid. Ainsi pour les passions dont le temps est le meilleur remède; être tempérant, c’est au fond donner au temps le moyen de nous permettre de juger sans chaleur excessive; se donner le temps à soi-même, donner le temps aux autres, laisser de la respiration dans nos rapports à autrui pour que les passions n’aient point le temps de se former.
Ainsi encore dans cette tempérance telle que nous la comprenons aujourd’hui et qui paraît à notre société vertu bien fade; tempérance n’est pas absence d’excès mais absence de précipitation qui évite bien des excès. Non pas – par exemple – éviter de boire mais seulement boire doucement. Déguster diront certains.
Où l’on comprend finalement que la vertu de tempérance est l’art de prendre son temps, art si peu à la mode en notre monde, qui explique sans doute la désaffection de cette vertu cardinale.
Tout à fait d’accord avec votre intervention , le monde manque cruellement
de cette belle chose que vous appelez "tempérance". D’autant plus que dans la
situation que vous nous décrivez, il me semble que vous auriez pu facilement
prendre l’avantage en arguant justement de la présence de ces enfants affamés ,
Ventres affamés vous faisant perdre l’ordre des choses (ie la file
d’attente)…
Une dernière question : qui protégez l’autre dans votre histoire ? Le grand
était peut-être rassuré de vous savoir à ses côtés !
Alors là bravo, belle leçon pour un gascon qui lutte souvent contre son
intempérance. Avez vous aussi remarqué que lors d’une telle "agression" ou
devant un tel manque de tempérance, le réflexe est de se montrer grand seigneur
en y opposant un calme olympien ? Manière de montrer sa supèriorité tout en
dominant la légère peur qui nous assaille.
Mais votre final bachique m’enchante. Je n’en attendais pas moins de vous.
Oh grand disciple d’Omar Khayyâm ! Rien n’est donc perdu et je cours ouvrir une
petite bouteille pour lui faire comprendre que grâce à ma tempérance, elle
contribue grandement à la renaissance de cette vertu !