Rien que le mot « fin » évoque le tragique de l’existence ; sauf peut-être dans les récits, récits écrits ou films, où il vient parfois sceller un heureux dénouement. À l’instar de ces contes qui se terminent par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », comme une promesse d’avenir radieux et fructueux. C’est dans cet interstice, entre l’histoire et l’écran noir, que nous pouvons trouver que, en effet, la fin est un commencement.

Pour commencer, la fin est une angoisse

Avant que d’être un commencement, la fin est au commencement une angoisse. Pour l’enfant en bas âge, toute absence est une disparition. De sorte que lorsque la figure familière des parents disparaît, alors l’inquiétude monte. Cette même inquiétude qui se manifeste avec la peur du noir, la peur de la nuit, qui apparaît à la fin du jour. Si je m’endors, me réveillerai-je ? L’habitude, la confiance dans le fait que le soleil se lève chaque jour nous ont éloignés de cette peur mais ce serait se fourvoyer que de penser que nous l’avons éliminée tout à fait : nous n’avons fait que la contenir car nous savons aussi qu’un jour, nous nous endormirons à jamais.

Ceci explique que des événements a priori heureux soient en réalité aussi de grandes sources de stress – un mariage, un déménagement consenti, une promotion –, ne serait-ce que parce qu’ils impliquent une fin. Il faut quitter une vie, quitter un logis, quitter une situation. Avec cela, quitter les années passées et reconnaître que le temps s’est envolé. Manière de dire qu’il y a dans toute fin, si minime soit-elle, un écho de la grande fin comme si notre vie était un objet fractal, où toute partie est semblable au tout, où chaque instant est comme une vie entière avec son début et sa fin.

Le tragique est une représentation

Ce n’est pas parce que chaque petite fin ressemble à la grande fin qu’elle est aussi tragique que la mort. Et d’ailleurs, qu’en savons-nous, que la mort est tragique ? Nous ne la connaissons pas et, ainsi que le dit Épicure, « Quand nous sommes vivants, la mort n’est pas là donc ne nous concerne pas ; et quand elle est là nous ne sommes plus, donc elle ne nous concerne plus. » Ce qui peut en revanche légitimement nous effrayer, c’est la mort de nos proches, de ceux que nous aimons. C’est ainsi que ce qui me touche dans les enterrements, ce n’est pas la mort des gens, c’est la souffrance des vivants.

Quand je perds un proche, c’est en effet tragique, mais cette fin-là n’est cependant pas une fin définitive pour moi puisque la vie continue (même si c’est cela qui est difficile).

Quant à ma fin, je n’en puis rien savoir ; je peux seulement croire. Croire en un paradis par exemple – ou en l’enfer, croyance qui me laisse pourtant dans l’ignorance. Car même si je crois en une nouvelle vie de félicité, je ne sais rien des détails de cette nouvelle existence et je ne sais rien des changements que cela va m’imposer ; avec deux ailes dans le dos – je sais, je caricature un peu – serai-je la même personne ? Me souviendrai-je seulement de qui j’étais ici-bas ? Même avec la foi du charbonnier, ma propre mort n’est pas tragique, elle est incertitude absolue.

La peur est réelle

Cependant, si dans la pièce où j’écris en ce moment, un lion affamé entre, il est certain que je vais avoir peur. On peut donc dire que, malgré mes grands discours, j’ai peur de mourir. Certes ! Mais ça ne rend pas la mort tragique, ça illustre que je suis un être animé de l’instinct de survie. Je peux même dire que j’aurai peur avant même d’avoir compris qu’il s’agit d’un lion, qu’il est affamé et que je pourrais bien être son prochain repas.

Nous voyons donc que la peur est réelle mais qu’elle est une combinaison entre l’instinct de survie et un imaginaire alimenté par la peine que j’ai ressentie aux décès de mes proches.

Dans ce sens, pour revenir aux « petites fins » de l’existence, chacune d’entre elle est bien un écho de notre grande fin, avec les mêmes illusions.

L’incertitude qui pèse sur les commencements

Quand je déménage – et c’est en effet bientôt mon cas – alors il y a certes ce passé qui s’envole – Je fermerai ma porte au nez des années mortes, chante Le Déserteur de Boris Vian –, un peu de nostalgie qui me saisit, mais il y a aussi l’incertitude liée à la nouveauté de la situation qui m’attend : ai-je fait un bon choix ? ai-je eu raison de m’engager dans cette voix ? Serai-je heureux dans cette nouvelle vie ?

De cette façon, nous ne savons guère si nous souffrons d’un deuil ou d’une anxiété. Il peut sembler que certains changements particulièrement heureux échappent à cette règle mais je ne saurais en être tout à fait certain. La joie certes peut masquer d’autres sentiments moins positifs – et heureusement ! – mais nous savons que même une libération peut être source d’angoisse, sortie de prison, sortie de détention ; nous savons que toute naissance provoque un baby blues plus ou moins marqué. La joie n’est pas exclusive de la peine et n’en est pas le contraire mais parfois le complément.

Happy ending

Une des ressources précieuses pour apprivoiser l’idée de la fin est le conte pour enfants. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Promesse d’avenir qui semble à tout adulte un peu simpliste mais qui peut éduquer les enfants au fait qu’une fin peut être heureuse. Car, pour reprendre le contre-pied de ce que je viens d’énoncer, alors la peine n’est pas non plus exclusive de la joie. C’est bien cette possibilité de joie, si minime soit-elle et si grande soit la peine, qui nous aide à surmonter les épreuves de la vie, traverser les changements et accepter l’idée même de notre transformation et de nos déménagements réels ou intérieurs.

D’où je crois que le travail, pour chacun d’entre nous, est d’accepter de faire coexister des sentiments qui semblent au départ antagonistes, tels que joie et tristesse ; enthousiasme et abattement ; regret et espérance. Trop souvent, nous fonctionnons en tout ou rien, honteux d’être joyeux à un enterrement par exemple (une cliente qui culpabilisait d’être apparue radieuse à un enterrement, aux yeux d’une de ses amies). La gymnastique de l’âme est de gagner en souplesse et en ajustement entre ces pôles extrêmes.

Il n’est pas d’accompagnement qui ne comprenne une part de ces questions en toile de fond. L’existentiel est toujours, de façon plus ou moins explicite, plus ou moins assumée, à la fois le moteur et ce qui influence nos actions. Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager, à en apprendre plus sur ma pratique et sur mon offre sur le coaching, ou tout simplement à me contacter.