Qui n’a pas un jour exprimé des regrets de n’avoir pas fait telle ou telle chose plus tôt ? Personnellement, j’ai toute une collection de ces interrogations qui me font parfois songer que j’aurais pu, que j’aurais dû commencer une activité ou un apprentissage plus tôt. Parce qu’alors, aujourd’hui, je serais en train d’en récolter les fruits plutôt que d’être encore en train de labourer laborieusement le terrain. Étudiant, d’avoir laissé filer les semaines plutôt que de réviser régulièrement ; adulte, de n’avoir pas repris des études plus tôt, de n’avoir pas envisager des évolutions dans ma vie professionnelle, les exemples dans ma vie mais aussi autour de moi sont innombrables. Ce sentiment de temps passé en pure perte peut être insupportable.

Or, gémir sur le temps que nous avons perdu, c’est perdre son temps présent. Le temps d’avant, le temps quand j’avais dix-huit, trente ou quarante ans, est un temps que je ne risque pas de perdre deux fois et que je ne retrouverai pas. Car le seul temps qui m’est donné, c’est maintenant. Il peut sans doute être mieux employé qu’à se lamenter sur le passé.

Ensuite que nous faisons, au travers de ce type de regret, une erreur de mémoire. Si nous n’avons pas pris telle décision ou effectué telle action, c’est sans doute que nous ne pouvions pas ou que nous n’étions pas en mesure de le faire. Si la vie est un voyage, alors nous ne pouvons pas visiter les lieux que nous n’avons pas encore atteints. Sur la route, je ne peux changer de direction que si je rencontre un carrefour, c’est-à-dire un moment où la décision est possible. Quand tout va bien – ou pas trop mal –, que la route est droite, alors il n’y a pas de raison de changer. Pas de raison mais aussi pas de possibilité de changer. Le carrefour, la possibilité du changement dans la vie, c’est bien souvent une crise, dont l’étymologie est d’ailleurs « décision ».

C’est ainsi qu’aujourd’hui, face aux regrets – qui ont aussi une utilité, n’en doutons pas, comme de stimuler des réflexions telles que celles-ci –, j’aime à me dire que j’ai fait de mon mieux ; que ces regrets sont vains parce qu’en fait la situation en me permettait pas à l’époque de prendre le virage désiré.

Mais ça n’est pas suffisant et, avouons-le, pas toujours convaincant. Je songe alors que nos souvenirs sont de pures constructions. De même que la mémoire photographique n’existe pas, en tout cas pas au delà quelques secondes, et que les images que nous avons en mémoire sont des images de synthèse, reconstruites à partir du sens que nous avons donné à nos observations, de même notre regard sur notre vie passée est infidèle, vivant et varie à mesure que nous cheminons. Le souvenir en dit plus sur notre être présent que sur celui que nous avons été. C’est ainsi que le regret parle davantage de la situation actuelle que du passé. Et peut-être que le regret n’est que notre ultime obstacle avant le passage à l’action. Et la perspective d’un regret futur, l’ultime motivation.

Article paru sur le site dirigeant.fr, sous le titre “Réflexions sur le regret”