Homme réparable, homme augmenté, transhumanisme, autant de nouveaux concepts qui nous laissent entrevoir une longévité beaucoup plus importante, jusqu’à 1000 ans affirme même le chirurgien Laurent Alexandre [1]. Est-ce que nous pouvons sérieusement envisager qu’en effet, nous allons vivre plus longtemps, mettons deux fois plus qu’aujourd’hui ?
Irrépressiblement, cette question me fait songer à l’ouvrage de Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer [2] où il aborde cette question en énonçant clairement : « deux fois plus n’est pas nécessairement deux fois mieux. » Par exemple, doubler la dose d’un médicament ne vous fait pas guérir deux fois plus vite ; autre exemple frappant qu’il cite : un hangar pour avions ­– censé donc protéger les appareils de la pluie – si grand que des nuages se formaient à l’intérieur en entraînant des précipitations : le changement d’échelle ayant ainsi pour conséquence un changement de nature.

Examen de quelques questions que pose cette possible mutation.

Vivre deux fois plus, être deux fois plus nombreux ?

Toutes choses égales par ailleurs, vivre deux fois plus engendre une démographie deux fois plus importante ; et encore, en supposant que nous ne choisissions pas de cette durée de vie plus importante pour faire plus d’enfants. 14 milliards de personnes sur la planète est une hypothèse que j’écarte aussitôt. Même 140 millions de personnes en France. C’est dire qu’en fait, tout le monde n’en profitera pas ; aux fractures sociale et numérique va succéder la fracture médicale.

Inégalité temporelle

Il en découle immédiatement que les puissants, qui pourront s’offrir les technologies et les moyens de se mettre à l’abri des jalousies, vivront plus longtemps que les plus modestes. Ce crédit temps et cette perspective va leur donner plus de pouvoir encore qu’ils n’en ont aujourd’hui tant nous savons dès maintenant que le plus pressé est souvent le perdant dans les rapports de force.

C’est comment de vivre plus longtemps ?

La fréquentation de vieilles personnes aujourd’hui me fait savoir que la fin de vie est souvent désenchantée ; marre de vivre, moins de joie. Est-ce qu’une santé parfaite nous mettra à l’abri de la lassitude ? Plus généralement, quelles conséquences psychologiques à l’éloignement de la mort ? La mort dont j’ai toujours eu l’intuition que l’angoisse qu’elle génère est un des moteurs du développement de l’espèce humaine, seule dans la création à projeter sa propre fin. Est-ce que le désir va s’ajuster comme le niveau d’eau s’ajuste à la baisse quand on agrandit la taille du récipient ? Ou, autrement dit, est-ce qu’avec des centaines d’années de durée de vie, nous deviendrons des légumes ?

Et les ressources ?

L’homme de deux ans va nécessiter, à n’en pas douter, une débauche de technologies : technologies « embarquées » dans le corps humain, mais aussi technologies pour les produire, technologies pour les contrôler, car cet homme sera connecté : pas question de laisser une malheureuse panne mécanique ruiner le processus. Ce qui signifie la nécessité de ressources, à mon avis gigantesques, en énergies et en matériaux : comment la courbe du besoin va croiser celle de l’appauvrissement ?

Des questions sans réponse ; qui mettent l’accent sur les lacunes des réflexions à propos des changements d’échelle qu’implique la révolution annoncée [3].

[1] https://www.tedxparis.com/laurent-alexandre/
[2] Paul Watzlawick – Comment réussir à échouer : trouver l’ultra-solution – Éditions du Seuil, Paris 1988
[3] Voir mon article écrit en 2008 : https://www.lqc.fr/la-ligne-droite-nexiste-pas-dans-le-monde-reel/

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr, sous le titre: Transhumanisme : les questions qu’implique cette révolution annoncée