Le 28 janvier 1986, après seulement 73 secondes de vol alors qu’elle évoluait à 3 200 km/h, la navette Challenger s’est désintégrée en vol, faisant ainsi périr les sept membres de l’équipage.[1]

L’accident fut causé par un joint qui n’avait pas résisté au froid ; la raison pour laquelle cette faiblesse au froid ne fut pas prise en compte est un mélange complexe d’organisation et de préjugés sur le temps qu’il fait en Floride, alors que les ingénieurs concernés travaillaient dans le Dakota. Pour eux, il faisait toujours beau en Floride ; en réalité, il arrive souvent – et ce fut le cas la nuit précédant le vol – qu’un front froid descende brutalement et fasse chuter les températures en dessous de zéro. En conséquence, les décisionnaires se basèrent sur des statistiques de défaillance très sous-estimées, car établies sans prendre en compte le facteur climatique. Les quelques voix qui s’élevèrent, soit n’avaient pas l’autorité nécessaire, soit ne furent pas entendues. Ce fut à nouveau Cassandre se manifestant, comme dans la mythologie grecque, avec le don de prédire, mais l’incapacité à être crue.

Bien entendu, il faut mettre en parallèle cette histoire avec toutes celles où des rabat-joie ne furent pas écoutés, mais où l’opération fut couronnée de succès. Telle est la nature du risque que la raison de le dénoncer n’est que rarement avérée ; et quand elle l’est, il est trop tard. Bien entendu, si, sensible aux avertissements, l’on se résout à surseoir à l’opération, il y aura toujours un doute et la frustration pourra bientôt se reporter sur les oiseaux de mauvais augure.

Ainsi, dans la plupart des cas, Cassandre est-elle mal vue ; quelle que soit, finalement, la pertinence de son propos qu’il est très rare de pouvoir vérifier. De nos jours, elle s’appelle : pessimiste. Et il ne fait pas bon être pessimiste ; il faut même être optimiste, quoi qu’il arrive car être optimiste augmente les chances de réussir tandis que le pessimisme, au contraire, plombe le destin. D’une façon générale, le positif est à a mode au contraire du négatif, qu’il soit de pessimisme ou d’humeur, qu’il pointe les risques ou critique les situations : haro sur ceux qui râlent, sur ceux qui critiquent, sur celui qui a peur, le timoré.

Mais c’est oublier que critiquer ceux qui critiquent, c’est encore critiquer ; ne pas vouloir entendre ceux qui voient le monde en noir, c’est encore un biais cognitif ; et râler contre les râleurs, c’est encore râler.

Oui, l’optimisme est une énergie formidable, mais le pessimiste n’est pas là par hasard ; peut-être même la parole qui s’exprime par son truchement ne lui appartient-elle pas et peut-être est-il le porteur d’un verbe de la communauté qui s’exprime au travers de lui, comme la lave jaillit à l’endroit où la roche est la plus mince, comme l’eau à l’endroit le plus perméable.

La psychologie positive ne dit pas que nous devons transformer le monde en une forêt de rêves bleus; elle dit que nous devons accueillir ce qui est là et cultiver, non pas un optimisme béat, mais un optimisme que nous trouverons les ressources face à l’adversité. À condition d’en accepter l’existence ; de même pour la critique ou les propos pessimistes et pour leurs porteurs, êtres humains comme nous qu’il n’est pas nécessaire de suivre dans leurs conclusions défaitistes, mais qui méritent d’être entendus : en 1986, ils auraient pu sauver la vie de sept personnes.

Tout commence par l’acceptation. Dire oui à la vie, dire oui aux soucis. Aux soucis aussi ? Oui, aux soucis aussi. Alors que le malheur nous saute au visage et que le bonheur se cache ? Oui, là aussi. Dire oui.
L’acceptation, ce n’est pas se réjouir de ce qui nous fait souffrir, c’est juste constater que c’est là. Ce n’est pas dire « c’est bien », mais dire « c’est là ».[2]

Au fond, il ne s’agit de devenir plus optimiste ou plus pessimiste ; il s’agit de gagner de la liberté et de la mobilité dans notre façon de regarder le monde ; à la fois d’une façon qui doute et voit le danger ; à la fois d’une façon enthousiaste qui voit les chances qui nous sont données, à commencer la vie même.

[1] Cet accident, ainsi qu’une longue discussion sur ses causes, est décrit dans l’ouvrage de Christian Morel, les décisions absurdes – Gallimard 2002
[2] Christophe André – Et n’oublie pas d’être heureux – Odile Jacob 2014

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr