Le goût de la fraise des bois

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un homme est poursuivi par un tigre féroce. Le voilà bientôt acculé au bord d’une falaise. Pour se sauver, il se jette dans le vide, accroché à une liane. Tandis qu’il est suspendu, il s’aperçoit qu’un autre tigre le guette en bas. Deux souris surviennent qui se mettent à ronger la liane au-dessus de lui. L’homme, avisant soudain une fraise des bois qui avait poussé dans une anfractuosité du rocher, tend le bras, ne tenant plus la liane que d’une seule main, cueille la fraise et, l’ayant mangé, s’exclame : « Quel goût délicieux ! »

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J’ai souvent cette boutade d’humour noir : « Tout ça va très mal se terminer ! » Puisque, oui, nous allons tous mourir. Un jour ou l’autre, notre vie prendra fin. Bien que le sujet ne prête guère à rire, cette exclamation me procure une sorte de grande joie. Peut-être parce qu’elle signifie : un jour, mais pas encore aujourd’hui ; d’ici là, l’existence a encore des cadeaux à m’offrir, comme autant de fraises des bois. Cela s’appelle vivre tout en sachant qu’on va mourir, et nous sommes devenus, au bout de millénaires de pratiques, des experts à ce jeu-là. Y compris lorsque les tigres ou les souris s’appellent réchauffement climatique, chute de la biodiversité ou acidification des océans…