Tu sauras que je pense à toi

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un commerçant chinois devait partir en voyage. Il vivait en bonne entente avec son épouse mais était quelque peu jaloux.
« Comment saurais-je que tu penses à moi ? lui demanda-t-il, inquiet.
— C’est simple, lui répondit sa femme, chaque fois que tu éternueras, tu sauras que je pense à toi. »
Quelque peu rassuré, l’homme se met en chemin. Au soir, il arrive aux portes de la ville où il devait faire des affaires. Il croise là un bonze qui vaquait à ses occupations. Soudain, ce dernier éternue bruyamment.
« Ah voilà ! se dit l’homme, ça ne fait pas une journée que je suis parti, que déjà ma femme pense à ce bonze ! »

 ***

La question qui me vient immédiatement est : comment rassurer un jaloux ? Ou, plus généralement, comment rassurer un inquiet ? L’inquiétude est comme un puits sans fond que les paroles réconfortantes sont incapables de remplir. Il faut d’abord boucher la fuite par laquelle s’écoule la confiance hors de nous. Il m’arrive, moi-même, d’être sujet, non à de la jalousie, mais à la perte de confiance dans certains domaines et à certains moments. Ce ne sont pas seulement les bras qui m’en tombent, mais tout mon être. Je vois bien, alors, que les paroles de réconfort ne m’aident pas toujours, surtout quand elles tentent de chasser l’inquiétude comme on chasserait avec fracas un animal importun rentré chez nous. Mais, parfois, un mot tombe juste. L’histoire, que je viens de raconter, dit que la ruse est à double tranchant ; je suis certain que l’amour et la tendresse font mieux que cela.

Carrière, J.-C. (1998). Le Cercle des menteurs. Paris: Plon.