Les hivers russes

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Cette histoire se passe au moment où l’on a tracé la frontière entre la Russie et la Finlande. Un homme possédait une ferme à cheval sur le tracé. On lui demanda, car on n’était sans doute pas à quelques mètres près dans ces étendues septentrionales, s’il souhaitait habiter en Finlande ou en Russie. Il finit par déclarer qu’il choisissait la Finlande. Mais il ne voulait pas froisser les officiels russes. Aussi, quand ceux-ci vinrent lui demander les raisons de son choix, il répondit : « J’ai toujours un profond attachement pour la mère patrie, mais je suis trop âgé pour supporter les hivers russes. »

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Je ne peux pas entendre cette histoire sans avoir une sorte de vertige : mon « bon sens », sans doute, qui se trouve un peu déséquilibré par ce qui lui apparaît immédiatement comme une absurdité. Je songe à la phrase de Sylvain Tesson qui a déclaré que : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer. » Savoir s’ils ont raison de le penser ou non ne m’intéresse guère. Ce qui m’intéresse ici est que certains trouvent notre pays merveilleux, par exemple dans le domaine des droits civiques ou sociaux, et que d’autres non. Alain Bombard s’est rendu célèbre en traversant l’Atlantique sur un zodiac à la dérive, pour montrer qu’on « ne mourrait pas au bout de trois jours en mer », comme d’aucuns le croyaient, à commencer par les naufragers qui se laissaient dépérir. Oui, cette histoire de froid russe ou finlandais est drôle ; mais nous le faisons sans cesse. Il n’est pas impossible que se trouve là une piste pour être beaucoup plus heureux dans la vie.

de Mello, A. (2002). Quand la conscience s’éveille. Paris: Albin Michel.