La fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt ?

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Nasr Eddin se fait gourmander par son voisin :
« Tu es un paresseux, lui dit celui-ci, tu fais la grasse matinée tous les jours ! Ne sais-tu pas que la fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt ?
— Rien n’est moins sûr, lui répond le Hodja. Et s’il me plaît, moi, de me lever tard ? Je ne m’en trouve pas pauvre pour autant !
— Détrompe-toi, rétorque l’opiniâtre voisin : ce matin, je suis passé de bonne heure devant chez toi et j’ai trouvé une pièce d’or. Si tu n’avais pas paressé au lit, c’est toi qui l’aurais trouvée !
— Hmmm, répond Nasr Eddin, je suis rentré fort tard hier soir et il n’y avait pas de pièce devant ma porte. Cela prouve que celui qui l’a perdue s’est levé encore plus tôt que toi ! »

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Dans le jargon des psys, nous appelons cela un « introjet ». C’est une phrase toute faite que nous avons gobée quand on nous l’a enseignée et que nous répétons sans vraiment y réfléchir : « La fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt », « dans la vie, il faut travailler dur », « on n’est jamais trop prudent », etc. Non que ces aphorismes, tels les proverbes, ne contiennent leur part de sagesse, mais c’est leur caractère absolu qui frise le ridicule, comme dans l’histoire. La sagesse n’est jamais de toujours faire pareil.  Elle est de s’ajuster aux situations qui adviennent, toujours différentes, « jamais encore vécues ». Penser qu’il faut systématiquement se lever tôt, c’est à peu près comme n’être pas capable de le faire, quelque chose de bloqué en nous, un manque de souplesse. Alors que la vie exige de nous que nous soyons comme l’eau qui court sur le sol, toujours prête à prendre d’autres chemins.