Le fer à cheval quantique

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

C’est le physicien Werner Heisenberg qui racontait que son collègue Niels Bohr, autre grand personnage de la physique quantique, connaissait un homme qui habitait près de sa maison de campagne et qui avait accroché un fer à cheval au-dessus de sa porte.
Lorsqu’on demandait à cet homme s’il était superstitieux et s’il croyait que ce fer à cheval allait lui porter bonheur, il répondait :
« Bien sûr que non, mais il paraît que ça marche, même si on n’y croit pas. »

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Cette histoire me rappelle une boutade : « Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur. »
Les deux expriment une contradiction que je trouve assez drôle. Mais je me suis demandé ce qu’apportait à cette histoire la mention des deux physiciens quantiques. En fait, je la comprends comme une blague quantique. Il faut d’abord mentionner que les scientifiques eux-mêmes ne croyaient pas vraiment à leur théorie. Ils étaient pourtant fort surpris qu’elle « marche », c’est-à-dire que ses équations permettent de prédire des comportements de particules. Le grand Einstein lui-même a mis beaucoup de temps à s’y faire. Ensuite, la physique quantique est la théorie du « en même temps » (ceci sans référence aucune à un certain slogan politique). Une particule peut être en même temps ici et là. Elle peut en même temps aller à telle vitesse et à telle autre, etc. On appelle ça la superposition d’états. On peut dire que notre homme était en même temps superstitieux et en même temps ne l’était pas. Ajoutons à cela que Heisenberg est l’auteur du principe d’incertitude qui dit, pour faire simple, qu’il y a une incertitude irréductible dans la mesure de couples de grandeurs : mieux on connaît la position d’une particule, moins il nous sera possible de connaître sa vitesse, et ceci non pour des considérations pratiques mais comme un principe inhérent à la Nature. Ce qui fait qu’on ne sait pas si le fer à cheval va porter bonheur et/ou si l’homme est superstitieux… Bref ! Une blague de geek. Mais j’aime bien cette idée que les êtres ne soient pas réductibles à certains qualificatifs : superstitieux ou esprit fort, mais aussi intelligent ou imbécile, honnête ou malhonnête, etc.

Carrière, J.-C. (2008). Le cercle des menteurs 2. Paris: Plon.