Quelque chose que je puisse faire pour vous

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un médecin pensa que le moment était venu de dire la vérité à son patient.

Au moment opportun, il l’entretint en face à face et lui dit doucement : « Je crois que je vous dois maintenant la vérité. Vous êtes atteint d’une maladie incurable et fulgurante. Je pense que vous n’en avez plus que pour quelques jours. »

Puis, après une pause : « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, au moment où vous désirez sans doute mettre vos affaires en ordre ?
— Oui, répondit le malade d’une voix faible.
— Qu’est-ce ? demanda le médecin en s’approchant.
— Appeler un autre médecin. »

***

La question que je me suis posée est : que veut ce patient ? Est-ce qu’il n’a pas confiance ? Est-ce qu’il ne se résout pas, comme on peut le comprendre, à perdre tout espoir ? Qu’est-ce qui ne va pas, finalement, dans ce moment de franchise du médecin. J’ai imaginé que c’est la « perfection » de la prédiction du médecin. Aucun doute, même minime, ne vient adoucir la rudesse de l’annonce. Il n’y a même pas de place pour la foi en un miracle dans ce qu’il dit. En plus de ne laisser aucun espoir, il ne laisse aucune place à l’homme pour comprendre sa situation, pour laisser venir la vérité à lui. Au contraire, il lui assène. Lorsque j’ai lu cette histoire dans l’ouvrage d’Anthony de Mello, j’ai cru voir que l’auteur parlait d’un « mauvais médecin ». Il n’en est rien, le mot « mauvais » ni aucun de ses synonymes n’apparaît dans le texte. Pourtant, assez curieusement au fond, c’est bien l’impression que cela me fait, comme s’il s’agissait d’un praticien débutant si peu sûr de lui qu’il met toute sa confiance dans sa science et qu’il la manie comme une massue. 

De Mello, A.  (2007). Histoires d’humour et de sagesse. Paris: Albin Michel.