D'où vient le bruit ?

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un voyageur est venu défier Nasr Eddin Hodja. Il s’est muni de charbon et d’un seau d’eau. Il fait un feu avec le charbon jusqu’à obtenir des braises, puis il jette celles-ci dans l’eau. On entend un « pschiiitt ». « Le son “pschiiitt” qu’on entend, d’où vient-il, demande-t-il à Nasr Eddin, de la braise ou de l’eau ? »

Nasr Eddin réfléchit un bon moment. Tout le monde retient son souffle. Soudain, il se lève, s’approche du voyageur et lui administre une énorme claque. « Et le clac, ajoute-t-il, d’où vient-il : de ma main ou de ta joue ? ».

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Voilà une histoire qu’on retrouve presque à l’identique dans la tradition zen. Tandis que Nasr Eddin semble être facétieux pour moquer son rival, dans le zen, les histoires moquent souvent la volonté de comprendre. Mon expérience dans le domaine de la psychothérapie est que comprendre ne sert, au mieux, à rien. Et, au pire, peut nous emmener dans des impasses où nous pourrons encore moins changer. La raison en est que nous ne pouvons jamais vraiment comprendre quoi que ce soit. La science, particulièrement la science physique, nous donne l’illusion de comprendre, mais c’est au prix de simplifications considérables : en astronomie, par exemple, les planètes deviennent des points, on néglige l’influence des myriades de corps célestes pour ne retenir que les principaux. Ça ne fonctionne pas trop mal, mais nous avons affaire à des corps inanimés. Le domaine du comportement humain est d’une autre complexité et le chemin vers la compréhension est un détour fatal. Ce d’autant que, ce que nous voulons, ce n’est pas comprendre, mais changer. Pourquoi n’est donc pas la bonne question.

Darwiche, J. (2000). Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage. Paris : Albin Michel.