La force du désir
Nasr Eddin, passant devant un marchand de nougats, a envie d’en manger. Cependant, il n’a pas un sou en poche. Qu’importe ! Il entre et commence à s’empiffrer de nougats. Le marchand s’en aperçoit bien vite et lui demande de payer. Nasr Eddin continue de manger des nougats. L’autre insiste et finit par s’énerver. À la fin, il entreprend de rosser Nasr Eddin à coups de bâton. Ceci n’arrête pas ce dernier qui finit par s’exclamer : « Quelle ville formidable, les habitants vont jusqu’à te donner des coups de bâton pour te forcer à manger du nougat ! »
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On dirait donc que le désir de nougats est plus fort que les coups de bâtons. Tellement plus fort qu’il transforme les coups de bâton en encouragements. N’est-ce pas toujours comme ça que ça se passe ? Ce qui s’appelle prendre des vessies pour des lanternes. Par exemple, quand j’ai faim, je ne vois que les boulangeries et autres magasins d’alimentation ou restaurants dans la ville. C’est dire que le désir transforme mon regard. Mais suis-je toujours conscient des désirs qui m’habitent lorsque je dis des choses sur le monde, quand je juge autrui ? C’est pourquoi sans doute on dit qu’il ne faut pas juger les autres, mais je paye une bière à celui qui y arrive ! Mes désirs sont ainsi des lunettes aux reflets changeants qui colorent ma vision et tout ce que je regarde. On devrait donc toujours faire le bilan des désirs qui nous habitent au moment où nous nous exprimons par des mots ou des actions… Est-ce possible ? Sans doute pas… Au moins peut-être le savoir et savoir aussi que, demain, notre regard aura changé comme change le temps qu’il fait.
Jodorowsky, A. (2007). La sagesse des contes. Paris : Albin Michel.
“La victoire des vaincus” (livre de Jean Ziegler au Seuil) c’est la cohérence, la chaleur, le sens donné à la vie…
Ici Nasr Edin est forcément vainqueur puisqu’il est fidèle à son désir !
L’histoire pourrait aussi nous amener à méditer sur la manipulation de l’information… toute ressemblance avec des situations actuelles serait bien sûr fortuite…
Enfin, l’abus de pouvoir appelle toujours la vengeance (cf Arnold Mendell et les “Process work”). D’abord Nasr Edin abuse de sa condition de désargenté… ce qui appelle la vengeance du marchand. Puis celui ci abuse de sa condition de marchand volé… ce qui appelle la vengeance de Nasr Edin avec les moyens dont il dispose (à savoir la cohérence du vaincu, cette certitude que “ta force ne me soumettra jamais” !).
Joyeux Noël !