La perfection

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Un maître zen ordonne à l’un de ses disciples de nettoyer le jardin. Le disciple s’acquitte de la tâche d’une façon irréprochable. Le maître, néanmoins, n’est pas satisfait. Le disciple recommence le travail sans réussir à satisfaire le maître et sans oser récriminer : deux fois, trois fois, quatre fois… Au bout d’un moment, malgré tout, à bout de nerfs et de forces, le disciple ne peut s’empêcher de s’exclamer : « Mais, enfin, qu’est-ce que vous lui reprochez, à ce jardin !? »

Le maître secoue alors la branche d’un arbre, faisant tomber sur le sol quelques feuilles mortes. « Maintenant, le jardin est parfait », lui dit-il.

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Vous connaissez sans doute le proverbe : « La perfection n’est pas de ce monde. » Et pourtant, qui ne rêve de s’améliorer encore et sans cesse ; qui, parmi nous, supporte le défaut dans ce qu’il fait ou est et, plus encore, supporte qu’on relève ce défaut ? « Il faut que tu corriges ça, c’est dommage », va-t-on nous dire avec la plus grande bienveillance. Ici, comme souvent, nous sommes ambivalents. Nous savons, et déclarons, que la recherche de la perfection est vaine, voire douteuse : ce pourrait être l’expression d’une faille narcissique que de toujours vouloir mieux faire. Et, dans le même temps, nos actes montrent que nous nous comportons à l’inverse. Individuellement et collectivement, nous jetons l’anathème sur les défauts et autres anomalies. Il semble que cet autre proverbe — Le mieux est l’ennemi du bien — soit aussi une pure abstraction.

Ce proverbe me rappelle cette histoire que j’adore raconter. Jean-Jacques Pauvert, l’éditeur, avait été traduit devant un tribunal pour avoir publié Sade. Pour sa défense, Jean Paulhan était venu prendre la parole.

« Vous avez de jeunes filles, Maître — Pauhlan était académicien —, lui avait dit le président. Supporteriez-vous qu’elles lisent Sade ?
— Vous êtes d’accord avec moi, monsieur le président, pour dire que le mieux est l’ennemi du bien.
— Oui, oui, sans doute, avait dû marmonner le président.
— Alors, considérez, avec Sade, que le pire est l’ennemi du mal. »

Jodorowsky, A. (1997). Le doigt et la lune : Histoires zen. Paris : Albin Michel.