Chercher l'approbation

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Mokugen est un maître zen qui ne souriait jamais. Cela ne lui arriva qu’aux derniers instants de sa vie, peu avant sa mort. Sentant sa fin approcher, il réunit ses disciples et demanda à chacun ce qu’ils avaient compris du zen. Il voulait léguer son bol et sa robe à celui auquel il donnerait également la responsabilité du monastère.
Les disciples rivalisèrent d’éloquence et d’intelligence, sans toutefois convaincre le maître.
L’un d’eux, néanmoins, se contenta de porter le bol contenant les remèdes aux lèvres de son maître.
Celui-ci lui dit : « Ah ah ! C’est cela que tu as appris du zen ? »
L’autre ne répondit rien et se contenta de reposer le bol.
« Ah ! Coquin ! C’est toi qui as gagné ! Le monastère est à toi », lui dit Mokugen en souriant pour la première fois de sa vie.

Je n’aime pas les interprétations des contes et des histoires. Je trouve que ça enferme le propos dans des limites excessives. Laissez-moi cependant vous livrer celle de Jodorowsky, dans le livre duquel je tire cette histoire. Non pour vous en faire la leçon, mais pour vous dire combien ce conte zen m’a bousculé. Ce dont Mokugen ne veut pas, nous dit Jodorowsky, c’est non seulement d’un successeur qui soit dans l’intellect — les autres disciples — mais aussi d’un qui cherche son approbation. En vérité, je mélange peut-être un peu avec d’autres commentaires de lui où ce sujet revient beaucoup. Ici, il est plutôt question de se sentir abandonné et de faire un geste — tendre le bol de remèdes — pour empêcher que cela n’advienne. C’est tout un, me semble-t-il. Chercher l’approbation du maître, obtenir pour nous-même un jugement positif, c’est aussi vouloir être en lien. Or voilà que je réalise combien, toute ma vie, j’ai souvent succombé au désir d’être reconnu par mes maîtres et que cela était tout simplement le signe que mon apprentissage n’était pas suffisant, que j’avais encore du travail à faire. Voilà qu’il m’apparaît que le désir de reconnaissance est au fond un signe d’immaturité dans notre discipline. Suis-je seul à penser cela ou à éprouver ce besoin ? Dites-le-moi, mais je vous préviens ­— et je vais singer les maîtres zen, faute d’en être un moi-même : si vous me dites que vous n’avez besoin d’aucune reconnaissance, je vous fiche un coup de bâton !

Jodorowsky, A. (1997). Le doigt et la lune : Histoires zen. Paris : Albin Michel.