Ne juge pas !

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Je ne vous raconterai pas vraiment une histoire aujourd’hui, mais je vous livre trois quatrains du poète perse Omar Khayyâm, écrits voici presque mille ans…

Ô toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas ceux qui s’enivrent
Entre l’orgueil et l’imposture, pourquoi vouloir tricher sans fin ?
Tu ne bois, et puis après ? Ne sois pas fier de l’abstinence
Et regarde en toi tes péchés. Ils sont bien pires que le vin 

Garde-toi de boire du vin avec un rustre sans tenue
Tu n’aurais que désagréments. La nuit, il te faudrait subir
Ses désordres, ses éclats de voix, ses folies, et le lendemain
Ses excuses et ses pardons à nouveau te rompraient la tête !

Quand je mourrai, lavez mon corps avec du vin
Pour prières, louez pour moi les coupes pleines
Au jour de la résurrection, si vous désirez me revoir
Tamisez la poussière de seuil de la taverne.

Ces poèmes provoquent en moins un mélange délicieux de jubilation et de tristesse. Joie de la fête, des coupes levées haut et de l’ivresse ; tristesse existentielle de la vie courte et d’un au-delà qui n’existe pas. Ce qui, d’ailleurs, n’a pas manqué d’attirer des ennuis à Omar Khayyâm de la part des autorités religieuses : « Ici, le vin me rend joyeux. L’autre monde, qui donc l’a vu ? », dit-il dans un autre quatrain.

La leçon de sagesse qui me semble se détacher est : « Vis ta vie comme tu le peux, ne laisse pas s’échapper les plaisirs et n’empêche pas ton prochain de faire de même par des jugements inopportuns : la vie est courte. »

« Ne juge pas », pourrait-on résumer, ce qui n’empêche pas le poète de trouver qu’il y a des rustres sans tenue, qu’il vaut mieux éviter. Et je suis assez d’accord avec lui… Notamment pour m’éloigner d’une espèce, assez courante à notre époque de censeurs, qui nous poursuivent avec leur injonction entêtée : « Ne juge pas ! »

Khayyâm, O. (1982). Les quatrains Rubâ’iyât. Paris : Seghers.