Le secret

par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas

Deux moines zen méditent dans la nature, à quelque distance l’un de l’autre. L’un est entouré de lapins qui batifolent autour de lui, et l’autre non. À la fin de la journée, le dernier dit au premier :

« C’est incroyable, tu es un saint ! Comment fais-tu pour que ces lapins ne te fuient pas ? Moi, je n’en ai aucun autour de moi ; comment fais-tu, quel est ton secret ?
— Je n’ai pas de secret, répond l’autre, je ne mange pas de lapin, c’est tout. »

 

J’aime les histoires zen, parce qu’elles ont l’art d’aller droit au but. Mais nous les admirons bien souvent sans vraiment les entendre. Il me semble que celle-ci moque le désir de causalité en nous. Si mon collègue est entouré de lapins, c’est qu’il a un secret. « Y’a un truc », comme on dirait d’un tour de magicien. Quelque chose qui m’a échappé jusque-là et qui me permettrait d’obtenir le même résultat que lui, sans rien changer à mon comportement. Ce qui signifie que je suis à la fois ambitieux et paresseux. J’ai envie de réussir et d’atteindre des objectifs, mais je ne veux pas faire d’efforts. Je veux obtenir des résultats sans faire le long et incertain chemin du travail.

Je crois pourtant que les certitudes offertes par les secrets — quels que soient les noms dont on les affuble, comme « méthode », « outil », « technique », etc. — sont des leurres. Non que des outils ou des méthodes ne soient parfois utiles, mais, si elles sont mises au service de votre travail et non telle une baguette magique. Un outil n’est efficace qu’avec le bon geste, et le bon geste s’apprend avec le temps. Ça a l’air évident, n’est-ce pas ? Est-ce à dire que vous ne succombez jamais au chant des sirènes ?

Jodorowsky, Le doigt et la lune : Histoires zen 1997