Pour illustrer, a contrario, le sentiment d’imposture, j’aime raconter l’histoire suivante qui m’a été donnée comme authentique… Mais il est vrai que nous sommes à l’ère du fake… De sorte que je ne saurais vous garantir la véracité de ce fait divers qui aurait été rapporté dans un journal local à Marseille.

La voyante de Marseille

On aurait retrouvé chez une femme décédée, habitant un logement plutôt modeste, de très importantes sommes en liquide. Après enquête, voilà l’histoire qui a pu être reconstituée. La femme était voyante. Elle n’était cependant pas seulement voyante, mais aussi un habile escroc, ainsi que le scénario que les policiers ont pu retrouver en témoigne.

Des gens viennent la consulter. Ils sont malheureux. Regardant dans sa boule de cristal, la femme leur dit qu’ils ont de l’argent maudit chez eux et que tous leurs problèmes viennent de là. Ça prend ou ça ne prend pas. Quand ça prend, la mécanique se met en marche:
“Que pouvons-nous faire ?, demandent les gens.
— Amenez-moi cet argent, répond la vieille.”

La fois suivante, les malheureux apportent leur argent; la vieille s’en empare et s’éclipse dans sa cuisine avec. Elle revient un long moment après, apportant un paquet emballé de façon complexe avec des fils dans tous les sens, des images saintes glissées dedans.

“Votre argent est là-dedans, leur dit-elle. Rapportez ce paquet chez vous, posez-le bien en vue dans votre salon et revenez avec dans trois semaines.”

Trois semaines, c’est long. Les gens ont le temps de gamberger. De se dire qu’ils n’ont pas vu la vieille mettre l’argent dans le paquet, qu’elle l’a peut-être dérobé et qu’elle a peut-être disparu avec. Tôt ou tard, ils vérifient. Ils ouvrent le paquet et découvrent… l’argent.

Quand ils retournent voir la femme, elle voit immédiatement qu’ils ont ouvert le paquet. Le système de fermeture avec les fils était trop sophistiqué pour qu’ils puissent le reproduire à son insu. Elle ne les laisse même pas rentrer chez elle. Elle les chasse avec véhémence.

“Gardez votre argent maudit, gardez votre malheur! Je ne veux plus jamais avoir à faire avec des gens aussi malhonnêtes que vous, aussi dénués de parole! Votre malheur, vous le méritez bien, partez!”

Ils s’excusent, gémissent, supplient. “Pardon, pardon, pardon!”, geignent-ils. Ils finissent par attendrir le coeur de la vieille.

“Que pouvons-nous faire maintenant, lui demandent-ils, après qu’elle semble être revenue à de meilleurs sentiments.
— La seule solution, après votre trahison, c’est de brûler l’argent, répond-elle.
— Vous pouvez le faire? demandent-ils, hantés à l’idée de s’attirer un malheur plus grand encore.
— Je vais le faire, conclut-elle, mais je ne veux plus jamais vous revoir.”

C’est ainsi que cette femme aurait accumulé une petite fortune en espèces que personne n’est jamais venu réclamer.

Imposture ou… honnêteté?

En dehors de me laisser aller à mon péché mignon, raconter des histoires, celle-ci me donne l’occasion de dire que le sentiment d’imposture, dont beaucoup d’entre nous souffrent, est aussi une volonté d’honnêteté. Éradiquerions-nous le sentiment d’imposture qu’aucune société ne serait possible puisque seraient grandes ouvertes les portes vers le charlatanisme, l’escroquerie, bref, l’imposture sous toutes ses formes. Sans perdre de vue qu’il y a en chacun de nous une partie avide qui ne reculerait devant rien pour arriver à ses fins, si elle n’était contenue par d’autres parties de nous.

La femme de l’histoire semble assez démunie de tout sentiment d’imposture. Ou elle s’en prémunit dans la situation, se disant par exemple, qu’elle ne fait jamais que s’approprier un bien mal acquis (“de l’argent maudit”). À l’inverse, elle joue sur le sentiment de culpabilité des personnes, sans lequel cette histoire ne pourrait avoir le dénouement qu’on lui connaît.

L’histoire montre au fond les deux faces de l’imposture: son absence et la culpabilité, les deux extrêmes d’un axe de polarités. Et ce qui est au coeur du récit, c’est l’argent, c’est à dire la valeur: est-ce que je le mérite?

Lorsque le sentiment d’imposture devient trop présent, un travail intéressant est de questionner la valeur que la personne s’attribue, dans les domaines concernés. Winnicot, à propos de l’effondrement, a postulé que la crainte de l’effondrement est presque toujours la crainte d’un effondrement qui a déjà été éprouvé. Se sentir dans l’imposture, douter de sa valeur, c’est, d’une certaine façon, se souvenir d’un temps où notre valeur n’a pas été reconnue, où on nous a mis en face de notre manque de valeur, parfois de façon douloureuse ou humiliante. Tout apprentissage nécessite de savoir qu’on ne sait pas tout – et donc de ne pas se surestimer –, il impose également de savoir qu’on est capable de savoir et que notre ignorance n’est pas une incapacité de notre être. Le sentiment d’imposture est ainsi, dans sa manifestation extrême, le gouffre d’une ignorance où nous serions tombés tout entier.

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