Il est de bon ton de vilipender la manie contemporaine de passer son temps derrière l’écran de son ordinateur ou de son téléphone. Ce serait temps perdu, temps volé au réel et à la relation authentique…

Cette forcément mauvaise habitude serait de plus nocive, nous ferait perdre la capacité de nous concentrer, nous ferait préférer la compagnie des amis lointains à celle des amis proches, nuirait à notre sensibilité, voire nous permettrait d’éviter des contacts réels par paresse ou manque de courage. Certes, il y a des raisons objectives d’adopter des mesures de prudence : portable au volant, conduites addictives, postures nocives pour le dos, pour les yeux, mais je voudrais relater une histoire qui fait apparaître les choses sous un jour différent.

Refaire connaissance

Je vais vous parler ici d’Alice et de François (prénoms modifiés) qui ont vécu ensemble un séminaire dans un passé récent. Séminaire engageant animé par François où les portables étaient bien entendus bannis, afin de favoriser la pleine et entière présence de chacun. Leur groupe a vécu quelque chose de fort et, en particulier, François et Alice ont vécu ensemble un moment intense. Beaucoup d’émotion, beaucoup d’authenticité, instants privilégiés qui resteront gravés dans leur mémoire.

Il se trouve que François avait fait la connaissance d’Alice bien des années auparavant. Puis les hasards de la vie avaient fait qu’ils s’étaient l’un et l’autre perdus de vue. Ils ont finalement renoué contact il y a quelque temps via le plus célèbre des réseaux sociaux. Doucement, lentement, ces contacts virtuels se sont multipliés au travers de petits actes insignifiants : dire j’aime à une publication, avoir des amis communs, commenter de concert un article et voir là leurs points communs, leurs différences. Ils ont refait connaissance. Le hasard a fait qu’Alice a déménagé avec sa famille pas très loin de chez François et ils sont alors passés du virtuel au réel sans savoir encore que, quelques mois plus tard, ils allaient vivre le moment que j’évoquais plus haut.

Relation virtuelle et réelle

C’est dire que l’argument «Je n’ai pas besoin d’Internet pour parler avec mes amis, je préfère les voir en direct» est un argument qui tombe à côté. La communication au travers les réseaux sociaux vise autre chose que les contacts directs. Je dirais qu’elle permet de prendre soin des liens faibles. C’est-à-dire avec ceux qui sont loin de nous, dans l’espace ou dans le temps, avec ceux que nous connaissons à peine. Car peut-être, comme dans l’histoire que je raconte ici, ces liens faibles peuvent-ils devenir forts et nous faire vivre une relation intense. Peut-être aussi les liens faibles peuvent-ils rester faibles, terme qu’il ne faut pas entendre comme « sans valeur », mais plutôt dans le sens de léger, distant.

Qui plus est, l’histoire ne s’arrête pas là, car, à l’heure actuelle, Alice et François envisagent de collaborer sur un projet commun. Alice, chef d’entreprise, a en effet eu l’intuition que les compétences de François en terme d’animation pouvaient intéresser ses propres clients et compléter son offre. Ce qui montre que le sujet n’est pas seulement un sujet privé, mais aussi un sujet d’entreprise tant un client ou un partenaire est, au départ de l’histoire, quelqu’un avec qui nous n’avons qu’un lien faible. La suite de l’histoire ne regarde qu’Alice et François et, d’ailleurs, peu importe : ce qui est intéressant est de lire dans ce récit comment communication virtuelle et communication en présence sont non seulement deux communications réelles mais se complètent l’une et l’autre.

Cultiver le ténu, le modeste

C’est incontestable : la rencontre physique est supérieure à la rencontre virtuelle, dans sa richesse, dans sa densité, grâce aux échanges de regards, aux gestes, grâce à tout ce qu’il est convenu d’appeler le non-verbal. Mais les réseaux sociaux sont aussi un moyen de cultiver le ténu, le modeste, l’infiniment petit des relations naissantes. Et si l’examen des commentaires sur Internet donne parfois une impression de futilité, de vide, voire même parfois de bêtise, alors ce n’est que le reflet des bavardages qu’on rencontre aussi dans la vie réelle.

Article paru sur le site dirigeant.fr et dans le magazine papier de janvier 2017