“Non, pas de violence chez nous ! Ici, tout va bien, on s’entend bien et quand on a des choses à se dire, on se les dit.

— Refrain connu. C’est chez les autres et pas chez nous. Qui fait écho à la citation de Freud, dans Malaise dans la civilisation: «Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups.» Nous connaissons ces régimes, souvent autoritaires, qui se construisent pas opposition à de « l’autre », de « l’étranger », de « l’ennemi ». Et la tentation est grande, dans les organisations, de s’appuyer sur le concurrent, ou sur l’administration, ou sur le siège, quand ce n’est pas entre services ou entre filiales. C’est violence, n’en doutons pas. Car faire de l’autre un ennemi, c’est mettre un ennemi dans notre imaginaire, dans nos représentations. Un ennemi qui, forcément, nous menace et nous pousse à prendre toutes les mesures adéquates qui prévalent face aux ennemis.

— Pas du tout ! Ici, nous avons des relations cordiales avec la concurrence. La règle de la maison, c’est le respect des uns et des autres.

— Peut-être bien ; mais est-ce que, au sein de l’organisation, il n’y a pas de conflits entre vous, pas de disputes, pas de guerre larvée ? C’est alors que le désaccord est caché, maquillé, réprimé. Que l’absence de conflits apparents confine au silence forcé. Ce qui est encore une violence.

— Non, mais ça ne va pas ! Vous voulez absolument qu’il y ait de la violence chez nous ! Pas du tout, vous dis-je, ne serait-ce pas plutôt vous qui rêvez d’en voir là où il n’y en a pas.

— Je ne rêve pas, elle est partout. Car la violence est multiple : agression, humiliation, culpabilisation et indifférence. Dans les endroits où « on s’entend bien », comme vous dites, alors le premier qui sort du jeu, émet une critique, peut vite se voir reprocher de briser la bonne ambiance. Autrement dit, être culpabilisé ; autrement dit encore, c’est de la violence. Quant au déni, qui ignore les signes et les alertes, il n’est pas si loin de l’indifférence vis-à-vis de ceux, plus sensibles que nous, qui pourraient souffrir de la situation.

— Ah mais vous exagérez, ça suffit ! Bien sûr qu’il faut que les désaccords s’expriment, bien sûr que la critique doit être permise, c’est le cas ici et je peux vous dire qu’il n’y a pas une once de violence.

— Il est bien possible que j’exagère. Je suis simplement sûr d’une chose : l’absence de violence n’existe pas. La nier, refuser de la voir – et donc de la canaliser – c’est la cultiver, la laisser nous agir à notre insu. Nier la violence, c’est encore de la violence.”

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