Un bon business plan doublé d’une élégante présentation et un entraînement à la prise de parole en public permettent-ils d’affronter sereinement et efficacement un parterre d’investisseurs ?

Autrement dit, les outils et les compétences sont-ils seuls requis pour réussir ?

La question peut se décliner dans de nombreux contextes: face à un prospect, à un client; face à son banquier; face à une administration rigoureuse, voire face à son supérieur hiérarchique. La question vaut en réalité dans toute entreprise, le mot étant compris dans le sens d’explorer des espaces inconnus, vers un but incertain. Ainsi qu’en témoigne le premier usage du mot dans l’expression « l’entreprise des Indes » [1], pour qualifier le voyage de Christophe Colomb parti explorer l’au delà des horizons connus, là où les cartographes dessinaient des dragons, là où le commun croyait que les bateaux et les marins allaient se faire dévorer [2]. Toute entreprise, c’est-à-dire toute tentative de sortir de son monde ordinaire : monter sa boîte mais aussi changer de poste, changer de métier, jusque sur le plan personnel, tenter une rencontre amoureuse, fonder ou refonder un couple, une famille.

L’adolescent timide en moi, se souvient de la difficulté de l’embarquement, même en ayant préparé mon discours, même prévenu de l’intérêt de la jeune fille, objet de mon inclination. De même, je sens encore en moi le creux au ventre, l’échine qui frissonne avant un rendez-vous à fort enjeu, ce tout au long de ma carrière professionnelle. Les gens de scène nomment cette sensation: le trac. Phénomène bien naturel, même chez les plus grands. Sarah Bernhardt aurait d’ailleurs répondu, à une jeune actrice lui expliquant qu’elle n’avait pas le trac : « Ne vous en faites pas, le trac, cela viendra avec le talent ».

Avoir le trac est une chose ; le laisser altérer notre puissance en est une autre. Le trac – ou le stress, ou la peur – est un aiguillon de nos facultés sauf si nous nous laissons submerger. Or, bien souvent, la peur plonge ses racines en nous et se nourrit de notre passé, en particulier de ce matériau archaïque fait de nos premières expériences. Peurs de l’enfance, insuffisance de notre environnement d’alors qui n’a pas toujours su nous donner le soutien nécessaire et dont nous avons souffert de la carence. Aujourd’hui, adultes, il se peut que perdure la vision du monde que nous avons conçue alors, que nous agissions encore comme nous avons été forcé d’agir à l’époque.

Face à cela, deux voies possibles – qui ne sont pas inconciliables, voire dont le concours est parfois nécessaire : le lent et patient travail d’introspection pour dénouer un à un les fils du passé, c’est la voie de la thérapie. Ou bien apprendre les attitudes qui nous permettent de faire face dans les situations à fort enjeu : c’est ce que j’appelle la voie héroïque. Dans ce dernier cas, il s’agit d’apprendre des situations elles-mêmes. Le héros est celui qui se jette à l’eau décidant qu’il va apprendre à nager. Voie périlleuse, sauf à trouver le moyen de s’entraîner dans un cadre sécurisé, tout comme les pilotes apprennent à piloter dans un simulateur.

Le défi est donc de réunir les conditions dans lesquelles se manifestent les doutes, les peurs, la vulnérabilité de tout un chacun, le tout dans un cadre sécurisé, à la fois pour favoriser l’expression de ces sentiments intimes mais aussi pour permettre la recherche et la découverte d’un nouveau regard sur les situations envisagées et de nouveaux comportements plus pertinents.

Rien de nécessaire, bien entendu, dans ce dispositif, tout comme rien n’est absolument nécessaire. Un lecteur de ma newsletter s’était désabonné en m’écrivant : « Le coaching, c’est la bouée des faibles. » Peut-être bien, après tout. La bouée des faibles ou de ce qui est faible et vulnérable en nous. S’il n’y a rien de faible ou de vulnérable en vous, alors vous n’avez sans doute peur de rien, vous n’êtes jamais pétrifiés par le trac, vous n’avez besoin d’aucune préparation mentale. Mais, ce n’est pas grave, cela viendra avec le talent ! Car c’est le faible et le vulnérable qui sont aussi notre force ; là où nous nous sommes construits, là où nous avons dû étayer notre personnalité pour ne pas nous effondrer selon le principe de résilience cher à Boris Cyrulnik. C’est paradoxalement sur le faible et le vulnérable que se construisent les grandes entreprises car c’est ce qui a suscité de l’élan en nous. Cet élan qui nous fait regarder l’horizon depuis le rivage et nous fait décider de nous embarquer à la rencontre des dragons des zones inconnues.

Avec Alain Pascail, c’est un tel programme de préparation mentale de l’entrepreneur – au sens large d’entrepreneur de sa vie – que nous avons élaboré, en nous appuyant sur la trame narrative du voyage du héros de Joseph Campbell.

[1] Voir le livre d’Erik Orsenna, d’ailleurs intitulé: L’entreprise des Indes, Folio.

[2] Se nourrir de l’incertitude pour entreprendre, Laurent Quivogne, EMS éditions.