Depuis que notre président de la République a renoncé à se présenter, les discussions vont bon train sur l’évaluation de la grandeur (ou de la petitesse) du geste. « Quelle dignité ! », disent les uns, tandis que les autres affirment qu’il n’y a pas de dignité là où le renoncement est obligé.

Le mot lui-même exprime des situations de grandeur, quand le renoncement est, par exemple, ascèse et choix délibéré d’un sacrifice au profit d’une cause plus vaste ; sacrifice de plaisir, sacrifice de confort, sacrifice de pouvoir. Ou bien des situations d’infamie quand le renoncement est abandon, recul ou fuite devant l’adversité, par manque de courage. Sigmund Freud, qui avait un avis sur tout, aurait réglé le problème en se citant lui-même : « Nous ne savons renoncer à rien. Nous ne savons qu’échanger une chose contre une autre. » Je ne sais pas contre quoi François Hollande a bien pu échanger sa candidature à l’élection suprême. Peut-être une postérité plus glorieuse que celle qu’aurait pu lui livrer une cuisante défaite ; peut-être l’image d’un homme responsable, davantage soucieux de l’avenir de la France que de ses propres intérêts ; peut-être encore de la marge de manœuvre pour les quelques mois qu’il lui reste à exercer ce mandat.

Mais tout cela est purement hypothétique, non seulement parce que nous ne sommes pas dans l’intimité de l’homme, mais aussi parce que nous ne connaissons pas l’avenir. Les bienfaits du futur ne s’échangent jamais, seul l’espoir qui leur est attaché. Je ne renonce pas au gros lot de la loterie nationale en donnant un ticket, même gagnant, pour lequel le tirage n’a pas eu lieu. Je ne renonce qu’à l’espoir de gagner et aux quelques euros qu’il m’a coûté.

Au fond, je ne sais pas si la décision de François Hollande est grandeur ou petitesse – il se peut bien d’ailleurs que je m’en moque – et j’imagine qu’il a fait du mieux possible en fonction des circonstances, ce à quoi nous sommes tous condamnés face à nos responsabilités. En revanche, cela me questionne sur ce à quoi je serais prêt à renoncer si la situation l’exigeait. Autrement dit, quels serait mes choix puisque, dit encore un proverbe, choisir, c’est renoncer. Ce que je peux regarder d’une autre manière encore : à quoi suis-je prêt à renoncer aujourd’hui même, gratuitement, sans raison ? Quel vide suis-je prêt à faire rentrer dans mon existence, peut-être en vertu d’un proverbe supplémentaire que j’invente à l’instant, renoncer, c’est choisir, pour faire un appel d’air à la nouveauté dans ma vie et me transformer ? Faute de ce questionnement, faute d’avoir répondu par des idées concrètes, faute même d’avoir commencé à renoncer moi-même, qui suis-je pour juger qui que ce soit sur ses renoncements présumés ?