Un dessin trouvé sur Facebook a eu un succès d’estime auprès de tous ceux à qui je l’ai montré. Au point que je me suis demandé d’où pouvait venir une telle unanimité et un tel enthousiaste.

Ici ou ailleurs: confort et magie

L’idée, que chacun saisit immédiatement, est qu’il nous faut accepter l’inconfort du changement pour rompre avec notre insatisfaisante situation actuelle. Ou, à l’inverse, qu’en nous accommodant de ce que nous avons, nous n’avons guère de chance de trouver ce bonheur auquel nous aspirons pourtant.

À la réflexion, cette promesse d’un bonheur accessible au delà des limites de notre univers du moment, ressemble fort aux promesses de paradis situés ailleurs que dans notre vallée de larmes, vallée de laquelle il nous faudra sortir un jour pour accéder, malgré notre effroi, à cet au delà céleste; à moins, pensent les esprits chagrins, que ces promesses n’aient été inventées et formulées pour apaiser (ou faire taire) les peurs humaines.

Ici ou ailleurs: terre et ciel

Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a dans ces schémas, à la fois une promesse – quelque part, la magie opère – et une menace: que faire si nous nous perdons en route? Si, ayant quitté la chaleur de notre foyer, le confort de nos habitudes, nous nous égarons dans le monde sauvage sans jamais trouver l’eldorado de nos espérances? Comment survivre perdu dans la jungle, tels des conquistadors qui ne trouveront jamais la cité d’or, le lumineux métal? Voilà bien cette autre sorte de promesse, faite par toutes sortes de guides ou proclamés tels, de chemin balisé et sûr qui nous mènera sans coup férir vers le ciel. Promesses dont nous voyons dès l’enfance les premières traces sur le sol des cours de récréation.

Marelle

D’une façon générale, n’est-ce pas cette pensée qui guide notre vie toute entière? Non seulement sur le plan métaphysique et la question de la condition humaine, mais aussi (et peut-être surtout) dans le quotidien de nos existences; dans le travail, notre vie amoureuse et sociale, avec nos amis, nos enfants; cette pensée qui peut-être est le moteur de notre société actuelle, qui nous fait dire que c’est mieux ailleurs, que c’est mieux demain; que le futur va nous apporter le bonheur, à moins que ce ne fut un voyage, un déménagement, un exil…

Ici ou ailleurs: ailleurs

Je propose ici l’idée farfelue que ce qui nous touche vraiment dans ce dessin, ce n’est pas l’idée que nous devons aller chercher le bonheur ailleurs, dans le temps ou dans l’espace. Ce qui nous touche vraiment, c’est peut-être que, à l’inverse, la vie, la nécessité, l’histoire, que sais-je encore, nous ont sortis du présent et de nous-mêmes, nous ont sortis de l’ici et maintenant et que nous aspirons à y revenir; que le paradis existe; que le royaume des cieux existe, que le nirvana existe, ou quel que soit le nom qu’on veuille lui donner, ici, maintenant, là où nous sommes, très précisément là où se trouve notre être, paradis dont les tribulations du monde, pour d’obscures raisons, nous ont écartés momentanément…

Ici ou ailleurs: ici
Maintenant, c’est le grand départ, comme la dernière fibre de l’amarre qui se brise et, sur la route qui continue de descendre, le vertige me saisit, j’ai l’impression de choir en dehors du monde ; à moins que ce ne fut à nouveau dans le monde, le vrai monde dont les tribulations sociales m’auraient éloigné.

Le voyage au Mont – Laurent Quivogne