À l’occasion de la réforme de l’enseignement, beaucoup s’émeuvent de la disparition programmée du latin et du grec. Je me sens mal placé pour en parler, n’en ayant pas fait moi-même et, pour avoir poussé un de mes enfants à en faire, ayant payé cher cette main forcée. Ce que j’imagine, dans les raisons qui écarteraient nos chères têtes blondes de l’apprentissage des langues mortes, c’est quelque chose du côté de l’utilité : à quoi sert le latin, à quoi sert le grec dans la vie moderne ?
Il m’a été donné de réfléchir à ce sujet, non à propos des langues, mais des mathématiques dont l’utilité en revanche ne semble pas être remise en question, sauf par les principaux intéressés, les élèves, spécialement quand ils rencontrent des difficultés dans cette matière cruciale. Or, dès qu’on fait un peu de soutien scolaire, c’est à ceux-là qu’on a à répondre à cette question : car si les mathématiques ne servent à rien, à quoi bon souffrir pour elles ?

Si j’écris ce billet aujourd’hui, c’est précisément parce que je pense que la réponse pour les mathématiques est finalement exactement la même que pour le latin ou le grec. Et comme cette réponse concerne le monde tel qu’il va aujourd’hui, j’ai la faiblesse de croire que son intérêt dépasse même le cadre de l’enseignement au collège et qu’il pourrait même toucher la vie économique et sociale.

On entend beaucoup d’âneries sur l’utilité des mathématiques. Je serai bref, à mon humble avis, sauf à devenir mathématicien ou professeur de mathématiques, les mathématiques ne servent à rien. Évidemment, les préoccupations financières pourront se nourrir de certains concepts, comme la proportionnalité ; les probabilités pourront trouver quelque application surtout si on cherche des raisons de ne pas jouer au loto. Mais, dans l’ensemble, les espaces vectoriels, la résolution d’équations polynomiales ou les logarithmes népériens n’ont aucune utilité significative dans une vie normale. J’en suis convaincu, d’autant plus depuis que je me suis aperçu que mon voisin de bureau, il y a quelques années, spécialiste en fiscalité, n’avait pas passé le cap de la règle de trois.

En tout cas, l’utilité immédiate me semble être une impasse pour convaincre qui que ce soit d’investir du temps dans cette discipline, ou dans l’étude du latin ou du grec.

Les mathématiques, comme les langues anciennes, sont une langue, avec un vocabulaire, une grammaire et une logique propre. Elles nous enseignent donc autre chose que ce que nous vivons dans notre quotidien. Et la réponse que j’évoquais ci-dessus, tient précisément à cela : la diversité.

La diversité, parce que c’est ainsi que la vie fonctionne, spécialement quand le monde a changé dramatiquement, après les grandes extinctions, en créant d’innombrables espèces, vouées pour certaines à une disparition rapide et d’autres à un long destin sans que rien n’aurait pu déterminer au départ les espèces survivantes. De même, plus l’incertitude des temps est grande, plus nous devons entretenir de la diversité ; entre nous, en soutenant les parcours variés ; en nous, en multipliant nos centres d’intérêt.

Or, à ce qu’il me semble, la récente réforme est une réforme défensive, centrée sur un constat d’échec du collège [1], focalisée sur les fondamentaux et les savoirs pratiques. Il apparaît donc que, globalement, elle est une réforme de fermeture quand le monde tel qu’il est, dans sa profonde mutation, appellerait plutôt une réforme d’ouverture. Ouverture à l’avenir qui, par nature, est inconnu et incertain. Tandis que jusqu’alors la croissance économique linéaire inclinait les acteurs à “l’optimisation”, les grands changements que nous vivons doivent nous inciter à la préparation ; non dans le sens d’une impossible planification au millimètre, mais dans une capacité à faire face, individuellement et collectivement, à toutes les situations possibles.

Et, dans ce sens, les mathématiques, le latin et le grec, qui sont chacune une langue ouvrant les clés d’un univers propre, sont de merveilleuses gymnastiques.

[1] Ainsi que l’affirme la Ministre de l’éducation le 13 avril sur BFMTV

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr