« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Guillaume Ier d’Orange-Nassau

C’est une chose de vouloir entreprendre, il faut encore faire le premier pas, « se lancer » comme on dit. Tout comme un homme assis, à un moment donné parce qu’il en a décidé ainsi, va prendre ses appuis, se lever et aller vers son but. Tâche facile et évidente quand il s’agit d’aller se chercher un verre à boire, autrement plus difficile dans une entreprise plus vaste telle qu’un nouveau projet. Bref, comment oser entreprendre.

Oser entreprendre: un mot aux multiples formes

« C’est un garçon très entreprenant », disait ma grand-mère, avec bien sûr quelque chose de péjoratif, pour parler d’un coureur de jupons, ce qu’on appellerait un « dragueur » aujourd’hui. Entreprendre a en effet ces deux usages, entreprendre quelque chose, qui peut vouloir dire faire ou commencer, et entreprendre quelqu’un, qui signifie aussi tenter de le convaincre.

Dans plusieurs cas de figure, nous dit le dictionnaire, le mot entreprendre a pour synonyme « s’attaquer à ». Où l’on voit que le mot a un côté agressif. D’ailleurs, le latin ad gredior — attaquer – signifie également : aller vers, aborder, entreprendre quelqu’un ou entreprendre quelque chose.

Dans la discipline sur laquelle je m’appuie, la gestalt, on parle de saine agressivité. Avec cette idée simple que vivre, c’est déranger (un peu) le monde. L’expression ressemble à un oxymoron, une de ces expressions qui marient des termes contraires, car elle dit un subtil équilibre entre deux polarités.

D’un côté, si je me place du côté des extrêmes, en commençant par la polarité que nous pourrons appeler la polarité de l’impuissance, je ne dérange rien ni personne : cela signifie que je reste chez moi sans bouger, sans parler à qui que ce soit, sans rien essayer. Attitude mortifère à coup sûr puisque cela signifie que je ne noue pas de relation, voire même, en allant jusqu’à la caricature, que je ne me nourris pas : il me faut bien croquer dans la pomme – et la détruire – pour la manger.

De l’autre, la polarité de la toute-puissance, j’agis sans me soucier des conséquences, comme un bulldozer aveugle. Je ne me soucie que de mon propre projet, au risque de m’exposer à une réaction, peut-être violente, de l’environnement.

Un sentier étroit entre deux extrêmes

Entreprendre, c’est donc se situer entre les deux extrêmes, comme un sentier sur un crête entre les deux pentes qui dévalent de chaque côté. À l’évidence, si je ne bouge pas, je n’entreprendrai rien ; et si je le fais sans conscience de mon environnement, sans attention portée au marché, à la concurrence, au besoin réel de mes futurs clients, j’irai tout simplement dans le mur.

Le point commun entre les deux extrêmes, c’est l’absence de contact avec l’environnement. Si je reste dans mon coin, je ne suis pas en contact avec le monde ; si je fonce yeux fermés, je ne suis pas en contact non plus, puisque je ne prête pas attention à ce que fait au monde ce que je fais.

Prenons des exemples concrets : pour la première situation, c’est évident : je ne me lance pas, je rumine mes malheurs de salarié, en rêvant qu’un jour, je vais monter l’affaire du siècle.

Pour la deuxième situation, nous avons également des exemples communs : je crée mon entreprise et je travaille sur mon produit – par un exemple un logiciel – en ajoutant des fonctionnalités, en peaufinant le design, etc. Tout ceci sans vraiment aller à la rencontre du marché. La rumeur a longtemps dit que les français excellaient à créer des produits magnifiques qui ne se vendaient pas : le Concorde par exemple. J’ignore en réalité si cette rumeur était fondée ; je sais qu’elle est de l’ordre du manque de contact avec l’environnement.

Ceci vaut pour n’importe quelle sorte d’entreprise, y compris dans le domaine personnel : soit je reste sur le bord de la piste de danse sans oser aller inviter cette femme que je trouve belle, soit je l’emmène de force et me montre ainsi violent… Entre les deux, un chemin de délicatesse et de consentement mutuel, plus sûr, plus respectueux, davantage dans le contact.

L’agilité, une manière d’emprunter le sentier étroit

Lorsque j’aborde quelqu’un – en supposant qu’en effet je ne reste pas, impuissant, à l’écart – je vais m’efforcer de m’assurer que je ne le dérange pas trop. Pour ce faire, je vais le vérifier aussi tôt que possible : me manifester, attendre un signe d’assentiment, peut-être lui poser la question. Là encore, on peut faire trop ou trop peu. Je décris un mécanisme général qui est en réalité très subtil. L’idée est en tout cas d’y aller progressivement, à petits pas.

C’est le cœur même de la démarche Kaizen – avancer à petits pas – ou même du Lean Startup qui préconise de multiplier les points de contact entre votre projet et le marché : je fais le produit le plus petit possible et je le teste aussitôt auprès d’un public de clients potentiels.

Ce genre d’approche a deux avantages : vérifier et rassurer. Vérifier que l’environnement répond à ma proposition ; me rassurer moi-même sur le fait que je ne m’engage pas dans une impasse, que ma démarche est légitime et que je peux être vu et reconnu.

Cependant, c’est encore trop peu dire : je peux m’engager dans l’action progressivement sans obtenir de résultats, car il faut malgré tout s’engager suffisamment, avec l’énergie nécessaire.

La peur, amie et ennemie

Ce qui empêche le plus souvent de s’engager, c’est la peur. « Supprimons la peur ! », pourrions-nous être tentés de nous exclamer. Oui mais : d’abord, la peur n’est pas là sans raison ; elle nous protège des excès de risques et des dangers potentiels inhérents à toute aventure.

Ensuite, ceux qui n’ont pas peur – qui disent ne pas avoir peur – sont soit des inconscients, soit des personnes qui ne reconnaissent pas leur peur ; c’est-à-dire qui se coupent de leur peur et, pour ce faire, se coupent de leur environnement. Ce qu’on appelle foncer tête baissée, les yeux tournés vers le sol pour ne pas voir le danger et ne pas avoir peur.

Je dirais donc que la peur est une amie qui nous alerte en cas de danger et une ennemie quand elle nous coupe de l’environnement ; soit qu’elle soit exagérée au point de brouiller notre perception, soit qu’il s’agisse de la peur d’avoir peur.

Peur d’avoir peur, cela signifie se tenir honteux quand on n’arrive pas à se lancer, plutôt que de montrer de la bienveillance vis-à-vis de soi-même ; ou, à l’inverse, se comporter en fanfaron et prendre des risques inconsidérés au seul prétexte de ne pas avouer ou montrer sa peur.

Oser = reconnaître

Oser entreprendre, c’est avoir la juste mesure de la peur ; reconnaître celle-ci à sa juste mesure, ne pas la nier ni en avoir honte. Oser, c’est garder le contact à la fois avec son environnement pour assurer sa progression, comme un alpiniste qui plante un piton dans la paroi à chaque avancée, et à la fois avec soi-même pour se ménager et se contraindre à une exigence raisonnable. Car, oui, il faut parfois se faire « violence », mais pas trop. Encore une histoire de sentier étroit entre deux extrêmes.

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