Dans le brouhaha médiatique qui entoure l’affaire Fillon – et où je me garderai bien de prendre parti dans cet article –, deux grandes familles d’arguments se dégagent…

1/ Les politiciens sont corrompus et il est temps d’agir pour faire cesser ces pratiques ; François Fillon n’est peut-être pas le seul, mais il est candidat à l’élection présidentielle et le moment est venu de dire stop.
2/ François Fillon est resté dans des pratiques légales et partagées, et il se retrouve voué aux gémonies par des cartels qui entendent user de leur pouvoir pour faire pencher l’élection dans le sens qui leur convient : les journalistes, les juges, les autres courants politiques.

Ces deux familles d’arguments se rejoignent sur un point : des gens ne font pas ce qu’il faut ; des gens ont une attitude malveillante qui les poussent à agir contre les intérêts de la République.

Autant – car je ne voudrais pas non plus sembler dénigrer cette vertu – cultiver la bienveillance me semble louable, pour soi-même, pour les organisations dans lesquelles nous vivons, autant il y a une sorte de cécité sur la réalité de la nature humaine. Le monde est non seulement divers ; il est perçu diversement.

C’est à la fois une merveilleuse chance et une malédiction. Une merveilleuse chance car c’est l’expression de la vie même, la vie qui multiplie les espèces pour se frayer un chemin de progrès et de survie aux accidents ; une malédiction car nous ne pouvons jamais savoir tout à fait comment autrui nous perçoit et imagine ce qui est bien pour nous. Pour illustrer cette idée sur un tout autre plan, je peine à penser personnellement qu’une loi religieuse ferait mon bonheur ; la « bienveillance » peut conduire certains à pourtant me l’imposer, peut-être même pour mon bien, à tel point que des sacrifices s’imposent. Ainsi, pourrait arguer le zélateur de telle doctrine, la gangrène impose parfois de couper une jambe ; ou de passer le karcher ; ou de promulguer des lois liberticides.

Résultat, ce ne sont plus des êtres humains qui se confrontent en toute bienveillance, ce sont des sourds qui s’invectivent sur ce qu’est la bienveillance, ou le bien, ou ce qui convenable ou bon pour notre pays.

Résultat du résultat, les « bulles », dans lesquelles les réseaux sociaux sont parfois accusés de nous maintenir, se renforcent et s’opacifient, clivant de plus en plus notre société.

Révisons donc nos positions, non seulement dans le pays, mais partout où nous œuvrons : l’autre ne doit plus être sommé de faire notre bien a priori ; ne prenons pas cette finalité pour un point de départ. Laissons à nos contradicteurs, avant de les chasser hors de notre monde, le droit d’être nos opposants, parfois hostiles, le droit – quitte à le contester – de ne pas nous aimer, le droit même de nous vouloir du mal.

Là où, peut-être, commence la véritable bienveillance, dusse-t-elle passer par le conflit.

Or, hypothèse de ma part, il se pourrait bien que le désir de bienveillance soit le masque d’une peur des conflits.

1/ La corruption, c’est mal, la position de François Fillon est indéfendable, il est même scandaleux qu’il tente de le faire : il doit renoncer immédiatement.
2/ Les scandales empêchent la vie démocratique de se dérouler sainement : les journalistes, les juges et toutes les parties prenantes doivent être capables de se censurer pour assurer la paix dans la société.

Où il apparaît ainsi que nous tentons ainsi collectivement de couper court au débat et à la violence des propos. Mais couper est encore une violence et je ne sache pas que la violence retranche quoi que ce soit à la violence. Nous ne sortirons pas de ce cercle vicieux.

Même en cachant notre violence derrière le masque de la bienveillance.