Je me suis lancé récemment dans le projet de soutenir une entrepreneuse [1] qui a décidé d’œuvrer dans le made in France et dans les produits éco-sourcés, c’est-à-dire en prêtant une attention au cycle de vie des produits et de leurs composants, depuis la conception, jusqu’à la destruction ou le recyclage. Ce qui a contribué à me séduire, dans ce projet, sans doute parce que je tiens l’humilité pour une vertu essentielle, c’est la modestie du propos initial, non en terme d’ambition, mais dans le choix du premier produit : une brosse de toilettes.
J’en ai parlé beaucoup autour de moi, notamment dans le but de soutenir la campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule et, plusieurs fois, j’ai reçu des réponses un brin moqueuses, par exemple : « c’est pas glamour, ton truc » ou bien : « Hors de question de dépenser plus de deux euros pour ça ».
J’entends qu’il est plus flatteur, plus plaisant et plus valorisant de s’acheter une Rolex pour ses cinquante ans qu’un objet du quotidien destiné à un usage peu ragoûtant ; j’entends aussi que l’objet en question, même si son design est étudié, va vous valoir moins de compliments qu’un vase de Chine ou un fauteuil Costes dans votre séjour ; qu’il va moins nourrir vos passions qu’un nouveau club de golf ou qu’un Lagavulin 16 ans d’âge.
Mais nous parlons d’entreprise. Nous parlons d’attention portée à l’environnement. Nous parlons de fabrication à l’intérieur de notre pays. En quoi le fait que le produit cultive notre propre estime de soi influe-t-il sur ces critères ? Faut-il encourager l’entreprise uniquement dans les secteurs « in » ou « mode » ou « trendy » ? Et les icônes de l’entrepreneuriat, telles Steve Jobs qui a marqué les esprits par le design, l’élégance de ses productions, ne pourraient-elles pas être issues des domaines du quotidien ; faut-il absolument que la noblesse de l’entrepreneur soit incompatible avec le trivial de l’usage de ses produits ?
Étudiant, je passais chaque matin devant une déchetterie. Et chaque matin, je me posais la question de savoir comment, finalement, les circonstances pouvaient-elles amener une personne à s’atteler à pareille activité ? Je rêvais sans doute encore d’un destin glorieux, loin de la fange et des ordures tout en mesurant pourtant l’importance de l’activité, pour la collectivité, de débarrasser la société de ce qui pourrait bientôt l’encombrer et l’empêcher de fonctionner.
La question qui me vient est donc de savoir s’il est nécessaire de conduire une nouvelle révolution, où serait mise à bas l’aristocratie des objets ? Pour plus de liberté, moins de jugement, pour plus de possibilités de déploiement des entreprises de toutes sortes. Une révolution qui aurait pour cri de ralliement : Vive la brosse à toilette !

[1] Pour en savoir plus sur ce projet, voire le soutenir, et sur celle qui le porte, Sandra Legel: https://fr.ulule.com/bbb-labrosse/

Article paru sur le site dirigeant.fr