“Miroir, gentil miroir, dis-moi, dans le royaume
Qui est la femme la plus belle?” 

Dit la reine à son miroir, dans le conte des frères Grimm, Blanche-Neige. Chacun connaît la suite qui fait répondre au miroir, tantôt que c’est elle la plus belle, tantôt que c’est sa fille adoptive. Négligeons la suite de l’histoire pour nous intéresser à ce curieux personnage capable d’annoncer bonnes et mauvaises nouvelles à sa puissante et ombrageuse maîtresse. Conseiller du roi, éminence grise, voire le moderne coach de dirigeant ou le conseil de direction, ou encore l’atypique bouffon du roi, autant de figures de l’être sans visage auprès d’un homme ou d’une femme aux responsabilités, qui peut dire son fait à celle-ci justement parce qu’il est sans visage, autrement dit sans ambition de la détrôner. Et si je parle ici de roi ou de reine, de dirigeant ou dirigeante, ça n’est point d’ailleurs pour réserver cette relation aux seuls grands capitaines chargés de gérer des pays entiers ou même des organisations mais aussi comme métaphore de toute personne qui a en charge le gouvernement de sa propre existence.

Le rôle de ce conseiller, que ce soit sur le ton de la raillerie pour le bouffon ou sur un ton plus sérieux, n’est pas de savoir à la place du souverain – souverain d’un pays, souverain de soi-même –  mais, précisément, de lui tendre un miroir pour qu’il puisse lui-même prendre ses responsabilités et décider en son âme et conscience. Chacun le matin peut en faire à petite échelle sa propre expérience, en se rasant ou en se maquillant, et mesurer combien est précieux ce reflet qui nous permet d’agir. Il n’existe malheureusement pas pareil objet pour refléter le fond de notre âme, de notre coeur, de nos pensées. Un autre peut jouer ce rôle pour nous, sorte d’alter ego, sous plusieurs conditions. D’abord, comme je l’ai déjà évoqué, qu’il ne soit pas suspect de vouloir prendre notre place, ni même d’avoir des intérêts à nos réussites ou à nos déconvenues. Ensuite que son être n’altère pas – ou pas trop – l’image qu’il nous renvoie. Ce qui suppose que son histoire, les situations qu’il a vécues et ses problématiques du moment n’envahissent pas le champ de notre dialogue. Autrement dit qu’il ait, par un travail assidu sur lui-même, poli son âme, comme on polit le verre ou le métal pour obtenir un miroir.

Mais ce serait illusoire de croire qu’un être humain peut s’effacer au point de se rendre aussi invisible que l’est le miroir lorsque nous contemplons notre visage. L’être humain, en tant que psyché, est imparfait et l’autre qui se mire en nous ne voit pas seulement son image mais une partie de la nôtre. Qu’importe! L’esprit est riches de ressources et le spectateur peut corriger de lui-même, dès lors que la vision du reflet s’inscrit dans une dynamique, celle du dialogue. Dire les pensées qui agitent le fond de mon esprit, prévenir ainsi toute interprétation plus ou moins juste, donner à voir l’être qui se cache derrière cette sorte de miroir sans tain qu’est notre apparence, plutôt que de tenter de se dissimuler derrière. C’est tout simplement établir une relation authentique, forme particulière d’intimité que j’ai appelée ailleurs “intimité relationnelle” [1], qui permet de retrouver une vision claire. Relation apaisée comme la surface de l’onde qui s’apaise et reflète enfin, après les remous, le vrai visage de celui qui se mire.

Cette authenticité, c’est précisément ce qui manque au miroir du conte de Grimm, lequel manque va permettre la suite tragique et entraîner la reine dans une spirale criminelle où elle se perdra elle-même. Car ce miroir n’en est pas un, qui montre à la reine une autre plutôt qu’elle-même et la laisse seule. Seule dans sa puissance, seule dans sa peur de déchoir, seule jusqu’à la folie. Ainsi se pose la question à tout dirigeant: où est ton miroir authentique?

[1] Billet sur l’intimité

Article paru sur le site dirigeant.fr