« Quelles sont vos trois principales qualités ? »

Question classique d’entretien d’embauche par exemple, mais qui vaut aussi pour une organisation que l’on représente. D’ailleurs, c’est ainsi que nous nous définissons : je suis ceci, je suis cela, comme dans cette blague d’entreprise :

« Quelles sont vos trois principales qualités, demande le recruteur ?
– Efficace, performant et dynamique, répond le candidat.
– Et vos trois défauts ?
– Humain, sensible et intelligent. »

Cette image que nous avons de nous-mêmes et des autres, au travers de qualificatifs qui sont autant de jugements (Durant, c’est un bosseur, Dupont, un psychorigide), nous permet de forger une image stable du monde, stable et rassurante.

Mais cette catégorisation peut nous amener à entraver notre capacité d’ajustement et notre liberté de mouvement. Si je suis toujours gentil, comment ferai-je le jour où il me faudra me défendre dans un climat d’hostilité ?

Et quelle valeur a une vertu si elle ne résulte d’un choix : si je ne peux pas faire autrement que d’être honnête, quelle valeur a mon honnêteté ?

C’est pourquoi, plutôt que de développer un aspect de notre personnalité, nous pouvons choisir de faire grandir notre mobilité, pour gagner en liberté, en responsabilité et en potentialité.

C’est ce que la gestalt [1] appelle le travail sur les polarités, et qui peut s’articuler comme suit [2].

D’abord, je réponds à la question : quelles sont mes principales qualités ? Peu m’importe que ce soit juste absolument, il me suffit de savoir ce que j’en pense dans l’instant ; demain, ce sera peut-être autre chose et, tant mieux, je pourrai refaire l’exercice différemment. Je peux aussi répondre à la question pour mon organisation.

Je réfléchis aux potentialités que cela me donne, aux bénéfices concrets. Par exemple, si j’ai dit honnête, je peux penser que cela va me faire gagner la confiance d’autrui, que cela m’apporte de la tranquillité d’esprit, etc.

Puis, j’imagine quelle est, selon moi, la polarité inverse. Il ne s’agit pas de trouver l’antonyme selon le dictionnaire, mais bien, de mon point de vue, quel est l’opposé de cette qualité que je m’attribue. Ainsi l’inverse de « dur » peut être « doux », ou bien « tendre », ou bien encore « mou ».

Ensuite, et c’est sans doute la partie la plus intéressante du travail et parfois la plus dérangeante, je réfléchis aux potentialités que me donnerait cette polarité inverse. La malhonnêteté me permettrait d’être plus efficace dans mes négociations, d’inspirer de la crainte, que sais-je encore, l’important étant de trouver ses propres réponses et non des réponses toutes faites.

La gestalt postule que ces polarités constituent un continuum, que nous ne nous situons pas ni totalement d’un côté, ni totalement de l’autre (nous ne sommes jamais ni totalement honnêtes, ni totalement malhonnêtes) non plus que nous ne sommes figés en un point précis ; au contraire, nous nous mouvons le long de la polarité en fonction des situations. Cet exercice vise à gagner en mobilité sur l’axe des polarités et constitue ainsi une sorte de gymnastique de notre être tout entier [3]. Il ne s’agit pas, bien entendu, de nous inciter à devenir malhonnête avec nos semblables, mais, au contraire, à devenir honnête en toute responsabilité et en toute liberté.

L’enjeu est plus grand encore. Si je dis : « j’aime les blondes » ; je peux être si convaincu que je ne regarderai – et donc ne rencontrerai – que des femmes blondes ; en revanche, si je m’ouvre, alors peut-être que je rencontrerai une femme brune qui me fera aussi aimer les brunes, parce que, éperdu d’amour, je trouverai tout d’elle absolument formidable. Ce qui laisse entrevoir que la croyance – j’aime les blondes ou je suis comme ceci ou comme cela – empêche le monde de nous transformer, empêche la nouveauté et nous arrête dans une pose statique, alors que la vie est mouvement.

[1] La gestalt ou gestalt-thérapie est une branche de la psychologie et une pratique dans la relation qui se situe dans le courant humaniste et qui envisage l’être humain dans sa façon d’être présent au monde : comment je me le représente, comment je l’aborde et comment je me mets en contact avec mon environnement.
[2] Les praticiens en gestalt répugnent généralement à suivre des processus établis et codifiés et préfèrent s’adapter à la situation présente ; ce que je décris ne peut donc être qu’un exemple de mise en œuvre d’un travail sur les polarités.
[3] Le travail ne se limite pas à ce que nous pensons (le cognitif), mais concerne aussi nos sensations et nos émotions.

Article paru sur le site jeune-dirigeant.fr